Communiqués

13 avril 2005

Tchernobyl : un mensonge d’État et une triste vérité pour la Corse et les Corses

Les premiers rapports d'expertise prouvent la responsabilité de l’Etat sur le plan médical, le mensonge d’État par dissimulation et contrefaçon de l'information

L’Association Française des Malades de la Thyroïde, la CRIIRAD et U Levante ont tenu une conférence de presse, le mercredi 13 avril 2005 à Corte.

Plusieurs centaines de malades, l'Association Française des Malades de la Thyroïde (AFMT) et la Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité (CRIIRAD) ont déposé plainte contre X, le premier mars 2001, pour défaut de protection des populations contre les retombées radioactives de l'accident de Tchernobyl. L'instruction, conduite par Mme la juge Bertella-Geffroy, a donné lieu à de nombreuses perquisitions et à la nomination de deux experts - M. Paul Genty et le Professeur Gilbert Mouthon.

Les premiers rapports d'expertise (rapports d'étape datés de février 2005) ont été transmis à la juge qui les a adressés aux parties civiles. Environ 75 % des perquisitions reposent sur deux départements, la Corse et la Drome, et la moitié des pages de ces rapports concerne la Corse. Les premiers rapports d'expertise prouvent pour l’île :

  1. la sous-évaluation considérable des niveaux de contamination
  2. la violation des différents textes réglementaires censés protéger les personnes en limitant l'ingestion des aliments les plus contaminés
  3. la justesse des affirmations du docteur Fauconnier dès 1986
  4. les omissions ou les mensonges des responsables de l’époque

1 - Ce que disent les experts : la réalité de la pollution radioactive

La Corse a été très contaminée, le SCPRI était parfaitement au courant de la situation et du dépassement quelquefois très important des limites fixées sur les aliments (recommandation européenne du 6 mai avalisée par la France le 7 mai). Le lait de brebis du 12 mai, première analyse connue en Haute-Corse, contenait 4400 Bq d’iode 131 par litre, soit 8 fois plus que les recommandations de la CEE à cette date ; soit au début mai 86 : 15 000 à 24 000 Bq/l en Balagne. L’IPSN a évalué la radioactivité du lait sur la côte orientale à des valeurs beaucoup plus élevées. La quantité d’iode 131 dans le lait de chèvre et de brebis en Corse au moment du passage du nuage, avec les pluies pendant les jours qui ont suivi, est énorme. Les valeurs de D. Fauconnier sont même inférieures à la réalité (analyses du lait) et ne tiennent pas compte, de surcroît, des autres aliments consommés. Dans le lait et les produits dérivés il était indispensable de tenir compte de tous les radioéléments, notamment les Tellure 132 et Iode 132 qui sont des radioéléments encore plus agressifs sur la thyroïde que l’iode 131.

Le 1er mai 86, sur une station de Nice, il a été mesuré 4 fois plus de tellure 132 que d’iode 131 ! Le SCPRI a négligé ces radioéléments à vie courte.

Tous les produits alimentaires frais ont contribué à la contamination des populations ; l’inhalation n’a pas été négligeable non plus. Pour les experts, tout cela a conduit à des dépassements des Limites Annuelles d’Incorporation et les conséquences pourraient être graves au niveau de zones précises (" taches de léopard ") où les précipitations ont augmenté les dépôts.

Autre témoin de la contamination de l’environnement : le foin, dont les analyses en juillet 86 donnent une contamination initiale de 60 000 à 80 000 Bq d’iode 131 / kg au début mai 86. Les résultats d’analyses pour les denrées alimentaires et le foin en mai, juin et juillet 1986, effectuées par la faculté de Lyon, donnent un chiffre de l’ordre de 240 000 Bq au 2 mai et 120 000 Bq au 6 mai.

2 - Ce que soulignent les experts : alors que les autorités avaient connaissance des faits réels, elles sont restées silencieuses ou ont nié la réalité, en 1986 et les années suivantes

A propos de la météo

Le SCPRI a modifié les cartes. L’analyse des données météorologiques prouve que le nuage radioactif avait atteint la Corse bien avant l’annonce officielle. La Corse a été le premier département atteint. Le nuage a survolé la Corse pendant près de 10 jours. Les cartes du SCPRI sont en contradiction avec les données météorologiques.

A propos de la radioactivité

La radioactivité du lait en Corse était connue du SCPRI et de la DDASS, mais aucune précaution n’a été prise. Le SCPRI n’a jamais publié les résultats des analyses de 18 laits, 6 fromages et 8 légumes de Corse de mai 1986 : aucun des résultats de la première semaine n’est communiqué. Le professeur Pellerin n’a jamais pris en compte les valeurs limites pour les enfants et a toujours donné les valeurs moyennes et non les valeurs maximales. Le SCPRI ne prévoit pas de protection particulière pour les femmes enceintes et les enfants en bas âge, particulièrement vulnérables. Les cartes communiquées par le SCPRI après le 6 mai sont fausses pour les régions PACA et Corse. Sur les 24 cartes de contamination des régions françaises établies par le SCPRI, soit la Corse n’apparaît pas, soit aucun chiffre ne figure la première quinzaine de mai. La Corse n’est représentée que 12 fois. Le rapport de l’ORS contient des erreurs graves d’interprétation. Les quantités de Becquerels sont sous-estimées ou minorées. Il ne tient pas compte du dépassement des doses pour les enfants.

A propos de la désinformation

Les exemples de désinformation sont nombreux, en voici trois.

Les réponses faites au Docteur Fauconnier par les autorités sont souvent fausses.

Le porte-parole de la DASS dans Le Provençal du 26 avril 1991 : Pendant la période cruciale du premier mai au trois mai, la radioactivité sur la Corse a été 1000 fois inférieure au seuil de risque. Les contrôles des DASS et des DSV l’ont formellement établi . Le responsable de la DSV à la même date : il n’y avait aucun danger donc aucun retrait de la consommation.

Le rapport IPSN de 1999 affirme : Les conséquences dosimétriques de l’accident de Tchernobyl sont très limitées en France.

A propos des anomalies administratives

Voici quelques exemples relevés par les experts. Le SCPRI (par la voix des Pr. Pellerin ou Moroni) a le monopole de l’information et a refusé d’appliquer les limites de contamination fixées sur les aliments. Le SCPRI n’a pas communiqué toutes les informations en sa possession aux autorités ou au public. Les régions PACA et Corse sont sans données en ce qui concerne les iodes 131, 132, le cesium134 et 137 contenus dans le lait du 30 avril au 6 mai. Le Préfet de Haute-Corse a demandé sans succès les résultats des analyses de nombreux prélèvements effectués par les services vétérinaires en mai et début juin et Pellerin ne voulait pas donner les résultats chiffrés à l’ORS. Pendant le passage du nuage, le SCPRI n’a pas effectué d’analyses (ou ne les a pas communiquées) en Corse alors que la Corse était la région la plus touchée surtout pour l’iode. En 1996 encore, l’IPSN affirme des inexactitudes, les cartes de Corse de l’atlas européen (2001) sont fausses. Les valeurs sont tellement minimisées qu’il y avait moins de Césium 137 dans le sol après Tchernobyl qu’avant. Le Césium n’est pas un radioélément naturel, mais il s’agissait des restes des essais nucléaires en atmosphère.

3 - Ce que les responsables auraient dû faire

La Corse étant la première touchée, il aurait fallu :

Au lieu de se soucier de la protection des populations, le SCPRI et autres services de l’Etat, en Corse et sur le continent, ont dépensé une énergie considérable dans la " maîtrise " de l’information et la gestion de la désinformation.

4 - Ce que les autorités peuvent encore faire

Parmi les anomalies administratives, le grave problème de l’enquête épidémiologique.

L’Observatoire Régional de la Santé de Corse est chargé en juillet 1986 d’étudier l’impact sanitaire de l’accident de Tchernobyl en Corse.

En 1996 et les années suivantes : U Levante demande à la DRASS et à l’Observatoire de la Santé, aux membres de la Conférence Régionale de la Santé une enquête épidémiologique sur les pathologies thyroïdiennes en Corse : aucune réponse, jamais. Elles ne feront l'objet d'aucun suivi particulier en Corse.

En décembre 1997 le Conseil Supérieur de la Sécurité et de l’Information Nucléaires estime qu’une étude épidémiologique sur les cancers de la thyroïde est justifiée en Corse et dans le Jura.

L’ORS refuse, en avril 1999, que l’enquête des pathologies thyroïdiennes effectuée en Corse-du-Sud (thèse de médecine de Nice de V. Recchi du 27 juin 1997) soit étendue à toute la Corse.

En octobre 2000, l’assemblée de Corse demande une étude épidémiologique et J. Baggioni saisit le directeur de l’ORS et la DRASS.

En juillet 2001, une délibération du Conseil Général de Haute-Corse demande des enquêtes complémentaires de santé publique.

Le docteur Combette (responsable à l’ORS) déclare le 27/03/01: on ne peut pas faire d’étude épidémiologique en Corse.

Le protocole d’étude épidémiologique, version 6, est présenté le 27/07/01 puis est représenté le 10/10/01 mais pas le registre. L’ORS va faire l’étude (réunion du 14/11/01).

Aujourd’hui : toujours pas de registre des cancers, pas d’enquête épidémiologique par les services corses ; l’enquête sur les cancers de la thyroïde est confiée à l’INVS (CIR SUD Marseille) et devrait être publiée en 2006. De nombreux obstacles compromettent ce travail.

Devant tant de mauvaise volonté, le juge d’instruction a ordonné la réalisation d’une étude épidémiologique dans plusieurs communes de Casinca et de la plaine de Ghisunaccia, microrégions où l’exposition de la population a été maximale.

De son côté, le conseil général de Haute-Corse a réclamé le 13 mai un suivi médical des populations exposées au nuage de Tchernobyl en 1986, après avoir entendu l’exposé du président de la CRIIRAD sur la façon dont l’Etat aurait volontairement sous-évalué les taux de contamination en France, en particulier en Corse. " Les contaminations sont établies ", estime le conseil général dans sa délibération, exigeant " un suivi médical " et " un registre des cancers " de la thyroïde sur l’île.

Enfin, une étude indépendante sur les cancers de la thyroïde en Corse va débuter avec le soutien du collège des généralistes de l’URML (Union Régionale des Médecins Libéraux de Corse) par l’intermédiaire de son Président, ainsi que le soutien de nombreux spécialistes. Cette étude va faire l’objet d’une thèse de médecine dirigée par le Professeur Belpomme, cancérologue à l’hôpital Georges Pompidou (Paris V), Président d’ARTAC, association pour la recherche thérapeutique anticancéreuse.

Haut de la page