L’État tergiverse sans éclat pour ne pas perdre la face

Le scénario était prévisible. Le préfet n’a pas apprécié le camouflet jeté par le tribunal administratif de Bastia qui, depuis quelques mois, annule les plans locaux d’urbanisme comme on renvoie les balles. Le 15 juillet dernier en pleines vacances estivales, Patrick Strzoda s’est donc livré à une mise au point qui relève de l’opération de communication. Encore aurait-il fallu, pour sauver la face devant l’opinion publique, que son intervention développe d’autres arguments que des contrevérités juridiques.
Divergence d’interprétation. Il y aurait, a expliqué le préfet, une divergence d’interprétation entre l’État et le juge administratif sur certaines dispositions de la loi Littoral, les services de l’État ayant estimé que l’extension de l’urbanisation pouvait se faire en continuité d’un lotissement. L’État manquerait-il à ce point de juristes spécialisés en droit de l’urbanisme ? Cette prétendue interprétation est en effet contraire à une jurisprudence ancienne du Conseil d’État que lesdits services ne peuvent pas « sérieusement » prétendre ignorer.
Pour le plaisir on peut réexpliquer : un lotissement n’a jamais été un village ou une agglomération. La plus haute juridiction administrative arrête que, « les constructions peuvent être autorisées en continuité de zones déjà urbanisées, caractérisées par une densité significative des constructions et que, en revanche, aucune construction ne peut être autorisée, même en continuité d’autres constructions, dans les zones d’urbanisation diffuse éloignées des agglomérations ».
Le Conseil d’État appuie sa position sur l’article L. 146-4, I du code de l’Urbanisme. Cependant, pour plus amples analyses, les services de l’État peuvent utilement se référer aux jurisprudences du 19 octobre 2007 (n°306074, Cne Lavandou) ou 27 septembre 2006 (n°275924, Cne Lavandou) par lesquelles les tribunaux déduisent qu’il ne peut y avoir extension de l’urbanisation en continuité d’un lotissement.
Par pragmatisme. À entendre le préfet, c’est dans un esprit de pragmatisme, que l’État aurait accepté que certaines zones constructibles empiètent sur des espaces remarquables référencés comme tels dans l’atlas du littoral. Et le préfet de s’étonner que cette approche n’ait pas été validée par le tribunal administratif.
Le représentant de l’État de droit en Corse nous étonne.
Ne sait-il pas que l’article L.146-6 du code de l’urbanisme impose la préservation des espaces remarquables ? Qu’à l’intérieur de ceux-ci aucune construction, de quelque nature que ce soit, n’est autorisée ? Que la loi ne laisse aucune marge d’appréciation ?
Les services de l’État ont réellement, consciemment, toléré une violation de la loi.
Obsolète ! Le schéma d’aménagement de la Corse, vieux de vingt ans, ne répondrait plus aux besoins de la situation présente. C’est bien connu, le droit dispose que si quelqu’un considère qu’un texte est obsolète, il est libre de l’interpréter à sa façon. Plus sérieusement, ledit schéma vaut directive territoriale d’aménagement (texte immédiatement inférieur à la loi) et ses dispositions précisent l’application de la loi Littoral en Corse.
Tout ceci sans compter que la pression spéculative étant beaucoup plus forte aujourd’hui qu’il y a vingt ans, ces dispositions – du reste très peu différentes de celles de la loi elle-même – sont plus que jamais nécessaires pour éviter une urbanisation anarchique du littoral corse. Du reste, l’actuelle majorité régionale laisse entendre que le futur Plan de développement et d’aménagement durable de la Corse (Padduc) comportera, sur ce point, des dispositions analogues.