La compensation : une nouvelle manière de consommer des espaces naturels à forte valeur environnementale sans culpabiliser !

Pour obtenir une autorisation d’urbanisme favorable, les nouveaux projets d’aménagement (routes, bâtiments, équipements publics, etc.) doivent démontrer qu’ils n’impactent pas l’environnement en suivant le standard de la doctrine administrative E-R-C : Éviter – Réduire – Compenser. Cette doctrine nationale a été publiée en mai 2012, ses lignes directrices, en octobre 2013. Cette doctrine a été renforcée par la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

Cette doctrine impose aux porteurs de projets de prendre des mesures visant :

  • en priorité à éviter les atteintes à l’environnement,
  • ensuite à réduire celles qui n’ont pu être suffisamment évitées,
  • en dernier recours, si éviter et réduire sont des actes démontrés impossible, à compenser les effets notables de leurs opérations sur l’environnement.

Six années après la mise en œuvre de cette doctrine, les bilans effectués au niveau national démontrent que ces mesures compensatoires sont des actions très insuffisantes pour la préservation de la biodiversité face au rythme actuel de l’artificialisation des sols.

Pour en savoir plus, nous vous laissons le soin de lire ce récent article ” La compensation ne permet pas d’éviter la perte nette de biodiversité ” relatant les résultats d’une étude scientifique du Muséum National d’Histoire Naturelle et d’AgroParisTech, ainsi que cet ouvrage de B. Regnery, en 2017 : La Compensation écologique : Concepts et limites pour conserver la biodiversité. Muséum national d’Histoire naturelle, Paris, 288 p. (Hors collection ; 40).

Et en Corse ?

Nous avons regardé les mesures compensatoires mises en œuvre en Corse. Cette donnée est publique et est consultable sur le site du Géoportail :

https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/3000-mesures-compensatoires-des-atteintes-biodiversite-localisees

La Corse est à la traîne en la matière. Alors que certaines régions françaises affichent 1 536 mesures compensatoires, à ce jour la Corse n’en affiche qu’une seule (mais U Levante a connaissance d’une autre mesure compensatoire à Loretto (Aiacciu).

Source de l’image : Géoportail@IGN

En zoomant sur cet unique point bleu corse, vous verrez qu’il s’agit d’un projet de construction d’immeubles de la société PROBAT sur Porto-Vecchio. Ce projet immobilier a fait l’objet d’une demande de dérogation de destruction d’habitats et d’espèces (mais nous ne l’avons pas trouvé sur le site officiel de consultation de ce type de dossier). En échange de l’artificialisation de cet espace de biodiversité, le porteur de projet a proposé une création ou renaturation d’habitats et d’habitats favorables aux espèces cibles et à leur guilde de la parcelle 1843 pendant 20 ans. Comme vous, nous aimerions en savoir un peu plus…

Pour résumer :

  • Est-ce qu’un nouveau lotissement pour des résidences secondaires sur un espace naturel sensible doit être évité selon la « doctrine ERC » ?
  • Est-ce que la destruction d’une vaste zone humide (par comblement pour créer le parking d’un hôtel ou d’une paillote) peut être compensée (sans même que le stade « comment l’éviter » ait été étudié) ? Exemples à Cagnanu et Petracurbara.

Bien sûr que non diront les porteurs de projet : ils n’ont que ces terrains pour réaliser leurs projets, ils ne peuvent donc pas l’éviter. Au mieux, l’un réduira l’impact (comme installer des clôtures avec des gros trous dans le grillage pour laisser passer les tortues), et affirmera qu’il compensera en trouvant un petit bout de maquis par là-bas. L’autre affirmera qu’il fabriquera une autre zone humide, ailleurs, loin de son hôtel, loin du littoral, là où la zone humide artificielle ne l’embêtera pas… mais là où la charge hydraulique de la zone humide ne s’opposera pas à la pénétration de l’eau de mer. Et tant pis si les forages pompent de l’eau saumâtre.

Les données publiques de mesures compensatoires sont-elles encore dans les tiroirs des services compétents et la Justice préférera-t-elle demander la « compensation » à la place de la « remise en état des lieux » alors même que les procédures ERC n’ont pas été respectées ?

Bon, au niveau national, après plusieurs années d’application de la loi, il a été conclu que les mesures compensatoires ne sont pas efficaces. Le temps, en Corse, qu’on mette la mesure en place, qu’on la teste, qu’on l’expérimente, qu’on entame un début de réflexion sur “Qui va faire ce travail de bilan, on est en sous-effectif !” (nous attendons toujours un bilan de la consommation des ENAF par la CTPENAF déjà en sous-effectif d’après Madame la Préfète)… il est clair que les zones de biodiversité vont continuer à être détruites par l’outil, très efficace, des dossiers de demande de dérogation de destruction d’habitats ou d’espèces.

En revanche, avoir une réflexion globale afin de déterminer si telle façade du littoral a encore besoin d’un nouveau lotissement de résidences secondaires ou d’un parking qui détruisent un espace naturel sensible, riche de biodiversité, cette réflexion est clairement évitée ! CQFD !