La pollution atmosphérique contribue-t-elle au développement de cancers ?

Bien que les niveaux actuels de pollution de l’air soient nettement plus réduits que ceux qui existaient, il y a quelques décennies, cet ensemble de travaux toxicologiques et épidémiologiques en population professionnelle ou générale montre que le risque carcinogène lié à la pollution atmosphérique demeure une préoccupation de santé publique. Les faits sont cependant encore incertains. Compte tenu de l’importance numérique des populations résidant aujourd’hui en milieu urbain plus ou moins industrialisé, l’évaluation de ce risque nécessite clairement de nouvelles recherches. Source ministère de la santé 2000.

 

La possibilité d’un risque cancérogène lié à la pollution atmosphérique ambiante est souvent évoquée, mais les travaux réalisés sur ce thème sont moins nombreux que ceux qui traitent de l’impact sanitaire à court terme de cette pollution. Il existe différentes approches pour étudier le risque cancérogène potentiel de la pollution atmosphérique. Les études toxicologiques évaluent individuellement le pouvoir cancérogène de chacun des polluants et sont généralement réalisées en utilisant des concentrations très supérieures à celles rencontrées habituellement dans l’environnement. En l’absence de données humaines, ces études constituent le seul moyen d’évaluer le risque cancérogène potentiel de certains polluants. Même si elles comportent des zones d’incertitude, les études toxicologiques sont complémentaires des études épidémiologiques, notamment de celles réalisées en milieu professionnel.
Les études épidémiologiques en milieu professionnel permettent de relier un excès de cancers à une exposition d’un ou plusieurs agents cancérogènes. Les niveaux d’exposition dans certains milieux professionnels peuvent être élevés, donnant la possibilité de mettre en évidence des excès de risque, mais la pollution rencontrée est souvent complexe, et il est difficile de relier les cas de cancer à un toxique particulier. Les risques peuvent aussi être étudiés de manière globale dans la population générale. Cette approche se heurte à de nombreuses difficultés. En effet, compte tenu du temps de latence élevé de la plupart des cancers, il est nécessaire de reconstituer des expositions qui sont souvent très anciennes et qui ont le plus souvent subi des modifications au cours du temps. Les risques sont souvent très faibles et proches, voire à la limite du seuil de détection des méthodes utilisées. Les résultats de ces études s’avèrent donc très sensibles aux facteurs confondants.
Dans ce chapitre, nous examinerons les données toxicologiques et les données épidémiologiques récentes sur le risque cancérogène de l’exposition à certains polluants considérés individuellement, principalement d’origine automobile, et enfin les données épidémiologiques sur les risques cancérogènes potentiels de la pollution atmosphérique considérée de manière globale.

Données toxicologiques et épidémiologiques en milieu professionnel
Parmi les effluents automobiles, seul le benzène est considéré comme un cancérogène certain chez l’homme (groupe 1 de l’IARC). Un paragraphe particulier des annexes lui est consacré. Six composants des effluents automobiles sont classés comme probablement cancérogènes pour l’homme (groupe 2A de l’IARC), avec des preuves considérées comme suffisantes chez l’animal, mais absentes, insuffisantes ou limitées chez l’homme. Ces composants sont à le 1,3-butadiène, le 1,2-dibromoéthane, le formaldéhyde et trois HAP le benz[a]anthracène, le benzo[a]pyrène et le dibenz[a,h]anthracène. Les effluents diesel, dans leur ensemble, sont également classés dans ce groupe, avec des preuves considérées comme suffisantes chez l’animal (IARC, 1989). Enfin, 16 molécules, parmi lesquelles, l’acétaldéhyde, 4 nitroarènes et 7 HAP sont classées comme potentiellement cancérogènes pour l’homme (groupe 2B de l’IARC), avec des preuves considérées comme suffisantes chez l’animal, mais absentes ou insuffisantes dans la plupart des cas chez l’homme. Les effluents des moteurs à essence, pris dans leur globalité, sont également classés dans cette catégorie (IARC, 1989).

Les particules diesel sont composées d’un squelette de carbone recouvert d’une phase organique composée elle-même principalement d’imbriès provenant du carburant et du lubrifiant, et comprenant notamment des HAP. Les tests in vitro ont montré que la fraction soluble extraite des particules diesel était mutagène dans le test d’Ames ainsi que sur différents modèles cellulaires. Une étude récente (VALBERG et WATSON 1999), en comparant les activités mutagènes spécifiques de condensats de fumée de cigarettes et d’extraits de particules diesel, a cependant évalué que la dose mutagène aux tissus cibles contenue dans la fumée d’une seule cigarette est plus grande que celle résultant de l’exposition pendant un an à des particules diesel aux concentrations ambiantes habituelles. Il a été également démontré que les extraits de particules diesel ainsi que les émissions diesel elles-mêmes pouvaient se lier à l’ADN des cellules cibles. Des adduits de l’ADN ont été mis en évidence dans les poumons de rongeurs exposés de manière chronique aux fumées de diesel, mais les animaux témoins présentaient également des adduits, pour certains à des niveaux équivalents à ceux des animaux exposés (MORIMOTO et al.,1986). Les études de génotoxicité ont montré un certain nombre de mutations géniques sur procaryotes ainsi que sur des cellules de mammifères. Des aberrations chromosomiques sur cellules de hamsters chinois ou sur lymphocytes humains ont également été mises en évidence. La production d’espèces radicalaires de l’oxygène, révélée par formation de 8-hydroxyguanosine (8-OHdG) a été mise en évidence dans des lignées cellulaires (ARIMOTO et al. 1999), chez la souris (ICHINOSE et al. 1997) et le rat (TSURUDOME et al. 1999). La contribution du corps carboné des particules diesel à la formation 8-OHdG, à l’exclusion de celle des composés poly-aromatiques considérés comme mutagènes ou cancérogènes, comme le benzo[ a] pyrène, le 1,8-dinitropyrène ou le 1-nitropyrène et l’implication des macrophages alvéolaires dans ces lésions a été évoquée (Tokiwa al. 1999).

De nombreuses études expérimentales après inhalation chronique d’échappements diesel ont été réalisées chez différentes espèces de rongeurs de laboratoire. Les études chez le hamster et chez la souris sont négatives. En revanche, les études chez le rat montrent une augmentation des cancers du poumon corrélée à la dose chez les animaux exposés à des concentrations cumulées élevées, supérieures à 1 000 mg m-3. Toutefois, les résultats positifs observés chez le rat pourraient être liés à un effet de surcharge (“overloading effect”), c’est-à-dire, des conditions dans lesquelles le dépôt des particules dans les voies aériennes excède les capacités d’épuration par les macrophages alvéolaires. Une méta-analyse récente des données expérimentales chez le rat, conclut qu’il n’y a pas d’augmentation du risque de cancer du poumon dans des conditions expérimentales s’il n’existe pas de surcharge, soit des concentrations cumulées inférieures à 600 mg m-3 (VALBERG et CROUCH 1999).

Plus de 60 études épidémiologiques ont été consacrées à l’évaluation du risque cancérogène des effluents diesel en milieu professionnel parmi les travailleurs des chemins de fer, de compagnies d’autobus, les conducteurs professionnels, chauffeurs routiers, chauffeurs de taxis, les dockers, les mineurs. Une augmentation des cancers du poumon et de la vessie a été observée dans plusieurs études. Une étude de cohorte récente (SAVERIN et al. 1999) et une étude conjointe réalisée à partir de deux enquêtes cas-témoins (BRUSKE-HOHLFELD et al. 1999) ont montré une augmentation du risque de cancer du poumon pour les travailleurs ayant les plus fortes expositions, et des durées d’exposition supérieures respectivement à 20 et 30 ans. De la même manière, deux méta-analyses récentes portant l’une sur 30 parmi les 47 études pouvant répondre aux critères d’inclusion (LIPSETT et CAMPLEMAN 1999), l’autre sur 21 parmi les 29 pouvant correspondre à ces mêmes critères, concluent après ajustement pour la consommation de tabac à un risque accru de cancer du poumon parmi les populations les plus exposées et ayant les périodes d’exposition les plus longues. Par ailleurs, une étude cas-témoins allemande (SEIDLER et al. 1998) portant sur 192 patients atteints d’un cancer de la prostate auprès de 210 témoins, conclut à une association entre l’exposition aux fumées de diesel et aux HAP et un risque accru de cancer de la prostate, mais avec des intervalles de confiance très élevés. Une enquête de cohorte rétrospective portant sur 18 174 chauffeurs d’autobus ou d’employés des tramways de Copenhague pendant la période 1900-1994 (SOLL-JOANNING et al. 1998) révèle un risque accru de cancers, tous types, dans les deux sexes, chez les agents ayant la durée d’activité professionnelle la plus élevée. Une autre étude danoise (HANSEN et al. 1998) portant sur 28 744 cas de cancers du poumon, conclut après ajustement pour le tabagisme et le statut socio-économique, à un risque accru de cancers du poumon chez les chauffeurs professionnels, en particulier les chauffeurs de taxi, en rapport avec leur exposition aux échappements de véhicules. Là encore, cette étude ne se réfère à aucune mesure de pollution, mais considère seulement la durée d’emploi comme un marqueur d’exposition cumulée aux émissions des véhicules.

L’évaluation récente du CNRS (CNRS 1998) retient un lien de causalité entre l’exposition aux effluents diesel et un risque accru de cancers du poumon à partir des données épidémiologiques. Mais une réévaluation (COX 1997) et une ré-analyse (CRUMP 1999) des données de l’enquête rétrospective portant sur 55 407 cheminots américains, citée comme étant l’étude apportant le plus d’éléments en faveur d’une relation de causalité entre l’exposition aux effluents diesel et un excès de cancers du poumon (GARSCHIK et al. 1988), suggèrent qu’il faut être prudent dans l’interprétation des résultats de cette étude et réfutent la causalité.

Données épidémiologiques sur le risque cancérogène de la pollution atmosphérique
L’incidence plus élevée des cancers et notamment des cancers du poumon souvent observée dans des zones urbanisées et industrialisées par rapport aux zones rurales (JEDRYCHOWSKY et al., 1990, TANGO, 1994, BARBONE et al. 1995, MICHELOZZI et al. 1998, PLESS-MULLOLI et al. 1998, BHOPAL et al. 1998), et la détection dans l’air des villes de substances cancérogènes connues, conduisent à penser que l’exposition à la pollution atmosphérique pourrait conduire à long terme à un risque accru de cancers. Ainsi, une augmentation de l’incidence des cancers de l’œsophage, du foie, du poumon, du sein et du col de l’utérus, de la prostate, du système nerveux et des lymphomes non-hodgkiniens, en relation avec la densité de la population a été observée dans différents comtés de l’IIIinois aux États-Unis (HOWE et al. 1993). L’enquête prospective portant sur 8 111 sujets de 6 villes des États-Unis, suivis entre 1974 et 1991 (DOCKERY et al. 1993), montre une association entre la mortalité par cancer du poumon ainsi que les maladies cardio-vasculaires et respiratoires, et la pollution atmosphérique. Les polluants mesurés sont les particules en suspension, réparties en deux classes granulométriques, inférieures à 15 µm (10 µm à partir de 1984) et inférieures à 2,5 µm, le SO2 et l’O3. C’est avec les particules fines que l’association est la plus nette. Mais il n’est pas donné d’indication sur la représentativité des données, ni la localisation des stations de prélèvement. Il n’existe pas non plus de données de métrologie antérieures à 1974. Il n’est pas possible d’exclure que l’association observée soit due en partie aux niveaux de pollution atmosphérique antérieurs à 1974 qui étaient plus élevés, en particulier pour les particules totales en suspension. Une étude récente (BEESON et al. 1998, ABBEY et al. 1999) portant sur une cohorte de 6 338 Adventistes du Septième Jour californiens, non-fumeurs, âgés de 27 à 95 ans, a mis en évidence, chez les hommes, une association entre un risque accru de cancers du poumon et des concentrations élevées de particules, d’ozone et de SO2, et chez les femmes, avec de fortes concentrations de SO2 et des concentrations de particules (PM10) supérieures à 50 µg m-3.

Une revue des études sur la relation entre pollution atmosphérique et cancer, réalisée par Katsouyanni et Pershagen (1997), souligne les problèmes rencontrés pour évaluer correctement les expositions qui conduisent à de grandes difficultés dans l’évaluation des effets. Les polluants mesurés en routine n’incluent pas, en règle générale, les cancérogènes reconnus. De plus, les mesures de pollution sont généralement réalisées à partir de capteurs fixes, rendant difficile l’évaluation des expositions individuelles, en particulier sur le long terme.

Il existe très peu d’enquêtes épidémiologiques sur le risque de cancer en relation avec les sources mobiles de pollution. Une étude de corrélation géographique (WOLFF 1992) a établi une relation entre l’incidence des leucémies et le nombre de véhicules par habitant, mais sans prise en compte d’éventuels facteurs confondants. Dans une étude destinée à évaluer les risques liés à l’exposition aux champs électromagnétiques, SAVITZ et FEINGOLD (1988), ont montré, après ajustement pour de nombreux facteurs confondants, une relation positive entre la survenue de cancers de l’enfant, particulièrement de leucémies, et la densité du trafic dans la région de Denver (Colorado). Deux études écologiques récentes, l’une anglaise (HARRISON et al. 1999), l’autre américaine (PEARSON et al. 2000), reprenant les données de l’étude de Denver, suggèrent l’existence d’une association entre le fait de résider à proximité de grandes voies de circulation ou de stations service et un risque de cancer de l’enfant, en particulier de leucémies. Ces études ne se réfèrent à aucune mesure, mais utilisent uniquement la densité du trafic comme indicateur de pollution. Dans le cadre d’une autre étude cas-témoins sur 127 000 enfants suédois, concernant le risque lié à la proximité de lignes à haute tension, a également été étudiée la pollution automobile, mesurée indirectement par la concentration extérieure en NO2 (FEYCHTING etal. 1998). Au total 142 cas de cancers ont été identifiés dont 39 cas de leucémies et 33 cas de tumeurs du système nerveux central. Bien que le nombre de cas soit peu élevé et les intervalles de confiance très larges, les auteurs concluent à une association entre un risque accru de cancer de l’enfant et les échappements de moteurs.

Conclusion. Bien que les niveaux actuels de pollution de l’air soient nettement plus réduits que ceux qui existaient, il y a quelques décennies, cet ensemble de travaux toxicologiques et épidémiologiques en population professionnelle ou générale montre que le risque carcinogène lié à la pollution atmosphérique demeure une préoccupation de santé publique. Les faits sont cependant encore incertains. Compte tenu de l’importance numérique des populations résidant aujourd’hui en milieu urbain plus ou moins industrialisé, l’évaluation de ce risque nécessite clairement de nouvelles recherches.