L’évolution actuelle de la Corse, la contribution citoyenne d’Hélène Luciani-Padovani

U Levante remercie Hélène Luciani-Padovani (Alata) de l’autoriser à publier le courrier qu’elle a adressé aux candidats aux élections territoriales le 15/11/2017.

Objet : Contribution citoyenne.

Madame, Monsieur,

Dans le cadre du projet de doublement de la RT20 à l’entrée d’Ajaccio, ma sœur (exploitante agricole) et moi-même avons été amené à déposer des observations écrites (en pièce jointe) lors de la concertation publique ouverte à ce sujet.

A cette occasion nous avons fait part de nos inquiétudes quant à l’impact de ce projet sur l’exploitation agricole, mais avons également tenu par courrier séparé à livrer aux responsables actuels de la Collectivité Territoriale, ainsi qu’au maire d’Ajaccio, un point de vue plus général quant au constat de l’évolution actuelle de la Corse.

A la veille d’une échéance électorale importante, il nous apparaît opportun de vous communiquer également cette contribution, qui est reproduite ci-après.

L’exemple le plus caractéristique de l’orientation économique qui s’installe dans notre région, et qui n’a pu vous échapper, s’illustre en périphérie d’Ajaccio (territoire de la CAPA).

Ici le sentiment qui domine au regard de la mutation rapide et profonde de ce secteur est que les pouvoirs publics ne sont plus à la manœuvre.
A l’évidence leurs prérogatives ont fait l’objet d’un transfert au profit de l’initiative privée.

Aujourd’hui force est de constater que les infrastructures publiques sont dictées à postériori, parfois même dans l’urgence, par une activité privée incontrôlée, portée par de grands groupes particulièrement dynamiques (Rocca, Padrona, Cappia, Perino … et autre consortium), qui de fait décident en lieu et place des institutions, du modèle économique de la Corse, bénéficiant même pour mener leur entreprise de cessions de foncier communal.

Mais peut-être s’agît-il de la nouvelle conception d’un partenariat Public – Privé !

Le choix retenu pour satisfaire leurs intérêts privés se résume à faire de l’île un vaste et unique espace de construction et de consommation.

Le schéma pour atteindre l’objectif s’avère simple, un banal « copier coller » du développement ayant sévit en France continentale, consistant en une urbanisation effrénée mais pour autant ici inopérante à faire émerger des filières amont comme la pierre dans une région fortement granitique », ou encore une filière bois, sur une île pourtant la plus boisée de Méditerranée.

Une urbanisation débridée fortement consommatrice et destructrice d’espaces naturels et agricoles et par ailleurs source d’attractivité puissante pour des flux de populations extérieures (toujours plus nombreux).

Des populations majoritairement urbaines et péri urbaines drainées dans de grands centres commerciaux dont la densité au mètre carré par habitant explose tout les records.
De vastes espaces de vente, essentiellement approvisionnés par des denrées et produits extérieurs, eux-mêmes acheminés, entre autres par la nouvelle compagnie maritime locale privée, et l’autre armada de bateaux.

Ces derniers arrivent dans nos ports (que l’on ambitionne toujours d’agrandir !) le ventre alourdi par les cargaisons de milliers de tonnes de fret et les hordes de touristes, pressés d’envahir nos sites naturels exceptionnels, et d’autant plus sensibles que dépourvus de tout aménagement.

L’ensemble sur fond d’incapacité manifeste à résoudre la crise récurrente des déchets, qui jonchent jusqu’à nos routes et nos sentiers.

Les conséquences de cette orientation sont connues et avérées, à savoir, une économie basée uniquement sur le secteur tertiaire, une forte proportion d’emplois publics, un petit commerce et un artisanat malmenés et régulièrement fragilisés, une agriculture toujours plus repoussée sur les contreforts montagneux moins hospitaliers, une production confidentielle, une atteinte environnementale lourde, des espaces et paysages défigurés par des constructions anarchiques dépourvues de toute style architectural.

Un taux record de 30% de résidences secondaires venant contrarier non seulement le secteur du logement mais également l’activité touristique, toujours en quête de modèle, et réduite à chanter les louanges de l’ineffable domaine de Murtoli ! (zone de non droit « bunkerisée », et paradis pour nantis en mal d’authenticité « fabriquée »).

Des espaces agricoles à forte potentialités, saccagés et désormais sacrifiés sur l’autel des équipements publics imposés et induits par des intérêts économiques particuliers.

Depuis plus de quarante ans, le politique s’interroge à l’infini.
Quel statut, quel cadre, quels outils, quelle économie, quel tourisme…. pour la Corse ?

Cependant dans le même temps et au nom de la sacro sainte décentralisation, dont chaque politique s’accorde à vanter les mérites mais sans qu’aucun bilan objectif n’en ait jamais été dressé, l’urbanisation est laissée à l’appréciation de maires omnipotents, bien souvent inconséquents, voire incompétents, accompagnés dans cette prérogatives centrale et majeure par des services de l’Etat défaillants, pendant que l’aménagement commercial se trouve lui dévolu à une obscure commission départementale (une de plus) à la composition improbable !

Pendant que les assemblées délibérantes se perdent en débats stériles, réclament toujours plus « d’outils » et de moyens dont elles ne savent se servir, dilapident l’argent public dans des études dispendieuses, pour au final ne conduire en réalité que de médiocres politiques d’«enveloppes» (càd consommation de crédits disponibles, sans même parfois atteindre l’objectif), faute de savoir élaborer et mettre en œuvre un projet de développement pertinent et respectueux de l’identité de la Corse, de son côté, l’échelon communal dépourvu de vision globale, et désormais drivé par les puissances financières, décide véritablement de l’aménagement et du développement du territoire.

Dans ce contexte et à ce rythme que sera la Corse dans quinze ans ?

Qui pour sauver la terre agricole et le maquis du béton et des incendies ?

  • Les agriculteurs ?, qui chaque année disparaissent sans être remplacés, ou bien le faible nombre de jeunes qui s’installent sans maîtriser leur foncier,
  • La représentation agricole consulaire et syndicale?, éternelle pleureuse toujours prompte à faire le coup de poing mais incapable d’identifier les priorités pour une défense valable de ses ressortissants,
  • L’Office de développement Agricole et Rural ?, lourde machine administrative et comptable déconnectée des réalités de terrain,
  • Le nouvel Office foncier ?, le petit dernier de la boîte à « outil », va-t-il servir, ou va-t-on s’en servir,
  • Les services de l’Etat ?, alors que ce dernier a abandonné son agriculture aux griffes de la féroce industrie agroalimentaire, ou encore se défausse de ses responsabilités en incriminant la règlementation européenne,
  • La Safer?, qui depuis des années laisse échapper aux mains de non agriculteurs des centaines d’hectares agricoles, sans même rechercher de parades ou tenter de crier au scandale, au seul motif que la vente par démembrement du droit de propriété permettant cette hérésie, est un acte légal,
  • Les PLU des communes?, élaborés par des premiers magistrats avides d’urbanisation, synonyme pour eux de développement, et ayant du mal à intégrer que l’intérêt général ne correspond pas à la somme des intérêts particuliers,
  • Le PADDUC?, large bréviaire dont la dernière version a perdu de son caractère protecteur et que chacun s’accorde déjà, sous la pression des maires (porteurs de voix !) à vouloir corriger,
  • Un énième outil ?, qui reste à inventer par la nouvelle collectivité unique !
  • Le statut de résident ?, l’Arlésienne.

La véritable question est la suivante :
Comment espérer conserver des espaces agricoles quand ce classement est vécu par la majorité des propriétaires, comme une sanction patrimoniale et financière.

Réponse : en renversant la vapeur et en redonnant à la terre agricole toute sa valeur, pour cela il appartient aux pouvoirs publics de la réhabiliter.

Il convient de prendre conscience que pour exister et perdurer dans le temps, le classement en zone agricole doit d’être accepté, admis, voire sollicité par les propriétaires concernés. Pour cela, il revient à la puissance publique de créer les conditions de cette « acceptabilité ».

Seuls les propriétaires de la terre Corse restent encore en mesure de lutter contre la spéculation foncière et immobilière ainsi que contre la progression du maquis et des incendies ! C’est sur eux qu’il faut s’appuyer pour combattre ces fléaux. C’est une évidence, pourtant rien n’est fait pour aller dans ce (bon) sens.

Le propriétaire de la terre, même s’il n’a pas le statut et la qualité d’agriculteur doit pouvoir être soutenu et aidé dans la mise en valeur agricole de sa terre, souvent héritée de ses ancêtres et à laquelle il porte un attachement viscéral. Combien de propriétaires souhaiteraient conserver leur terre et avec elle le souvenir des anciens, tout en aspirant à la transmettre à leur tour à la génération suivante.

Le soutien public à élaborer au bénéfice du propriétaire doit permettre d’apporter à son fonds les aménagements nécessaires pour donner à ce dernier une réelle valeur locative, synonyme de plus value dans la perspective d’une mise à disposition auprès d’un agriculteur ; ou doit être de nature à lui permettre de conserver son bien en l’empêchant de tomber dans un état d’abandon manifeste ou d’être la proie des incendies.

Tout propriétaire devrait pouvoir conserver sa terre agricole en bon état tout en ayant la possibilité de la cultiver lui même s’il le souhaite. Pour favoriser et inciter à la signature de baux au profit des agriculteurs, le propriétaire a besoin de jouir de conditions favorables et protectrices aussi bien d’un point de vue financier, que sur un plan juridique et fiscal, il s’agit d’élaborer des incitations fortes et « positives ».

Il est fondamental de rééquilibrer la relation bailleur/locataire pour un accord gagnant/gagnant.

Par ailleurs, dans des conditions très contraintes et bien règlementées, le propriétaire devrait se voir autorisé à pouvoir construire sa propre maison. Tout doit concourir à ce qu’un propriétaire tire avantage et bénéfice à conserver sa terre agricole et n’assimile plus, comme c’est aujourd’hui le cas, le classement en zone constructible à un Eldorado ou un jack pot dont le zonage agricole viendrait le priver.

Vendre sa terre n’est jamais une bonne affaire, et le confort procuré reste toujours éphémère !

Ne condamnons plus les propriétaires de la terre Corse à n’avoir comme seule alternative au maquis improductif, la pelleteuse dévastatrice.

Espérant que ce qui précède et que j’avais à cœur de vous dire retienne votre attention.

Bien cordialement.