Lettre ouverte à M. le Président de la République, suite à son discours de Bastia

Monsieur le Président,

Dans le cadre de votre discours à Bastia du 7/02/2018, vous avez abordé le problème de l’application en Corse des lois Littoral et Montagne et annoncé : « nous mettrons fin aux situations ubuesques (…) et je vous donnerai la possibilité d’adapter les réglementations des lois Littoral et Montagne pour qu’elles soient plus intelligentes ».

Cette annonce suit les déclarations de votre ministre, Mme Gourault, en date du 5/01/2018 :

« Il faut aussi regarder si la loi Littoral ne peut pas être aménagée pour libérer du terrain à construire ».

Pour illustrer votre propos vous avez cité une nouvelle fois l’exemple de la commune de Piana qui subirait les contraintes issues de la superposition des lois Montagne et Littoral.

Suite à la présentation du PLU de cette commune, les avis défavorables de la MRAe du mois de Mars 2017 et de la CTPENAF de la même année démontrent que le problème ne vient pas de la superposition de ces deux lois mais, notamment, d’une volonté d’urbaniser à tout-va, sans rapport avec l’évolution démographique et le foncier disponible :

« Les argumentaires présentés ne démontrent pas la cohérence sociale, environnementale et paysagère d’une évolution aussi importante du développement de la population de Piana et d’Arone. L’ampleur de l’accroissement démographique attendu ne peut être justifiée. S’ensuit de fait un développement urbain déconnecté des besoins réels, que ce soit sur Arone ou sur le village (…) Sur Arone (site protégé) compte tenu du développement envisagé au regard de l’existant, l’impact paysager devrait être irrémédiable et fort (…) » (Avis de la MRAE de mars 2017)

Pour des précisions : http://www.ulevante.fr/piana-plu-recale-a-lunanimite/

Telle est, brièvement résumée, la réalité du cas que vous avez pris comme « exemple » pour justifier la nécessité d’adapter les lois Littoral et Montagne ! Une méconnaissance du sujet est peut-être à l’origine de vos propos, méconnaissance nourrie, nous le croyons bien, par des sources locales qui n’ont comme volonté que de vendre cette terre au plus offrant ! Permettez-nous d’être, à la lueur de ces propos, particulièrement inquiets pour l’avenir de l’environnement en Corse !

Les Corses, tous les sondages le démontrent, sont très attachés à la loi Littoral qui permet la défense de ces « communs » que sont les terres agricoles, les espaces remarquables, etc.

Ils savent qu’elle peut être un rempart efficace, quand elle est respectée, contre la spéculation immobilière et la dérive mafieuse qui s’en nourrit. Rien ne justifie un « aménagement » de cette loi pour « libérer du terrain à construire ». Une telle annonce ne peut que réjouir la mafia, le crime organisé, les divers groupes de pression qui espèrent justement que les terres agricoles et les espaces remarquables des communes du littoral deviennent constructibles, permettant ainsi de réaliser une plus-value fantastique !

En Corse, tous les gouvernements qui se sont succédé ont constaté et dénoncé le lien entre la mafia, le crime organisé, les assassinats et la spéculation immobilière : sans aucune avancée, sans résultat !

Croyez -vous dans ces conditions qu’en ouvrant la boîte de Pandore de l’adaptation de la loi Littoral vous allez permettre que « la Corse devienne un territoire innovant pour un développement durable intégré associant agriculture de qualité, tourisme durable et préservation des sites naturels. » ? En réalité, votre proposition va à l’inverse de ce vœu.

En Corse, les terres agricoles les plus riches se trouvent en plaine, dans les communes du littoral et donc directement concernées par la loi Littoral. Oublier ce fait, en « libérant des terrains à construire » c’est condamner l’agriculture corse et porter atteinte à ce bien commun que sont les terres agricoles.

Qui peut croire un instant, et en tenant compte du contexte local, c’est-à-dire de l’emprise mafieuse incontestable sur les secteurs du tourisme et de l’immobilier, que l’adaptation de la loi Littoral se traduira par plus de protection des terres agricoles, des espaces remarquables et des sites naturels ?

Les propos que vous avez tenus, Monsieur le Président, et qui s’ajoutent à ceux de Mme Gourault, ne peuvent que réjouir ceux qui, en Corse, mafieux ou non, rêvent de bétonner toujours plus notre littoral et qui n’ont que faire du développement de l’agriculture et de la protection de l’environnement.

La Corse a un taux de résidences secondaires supérieur à 30 % contre 9 % sur le Continent.

Dans les communes du littoral, le taux de résidences secondaires dépasse largement, en moyenne, les 60 % ! Plus de 4 300 permis de construire ont été accordés en 2016 pour une population à peine supérieure à 300 000 habitants : record national ! Les communes du littoral sont saturées de résidences secondaires, habitations vides 7/12 mois car uniquement destinées à la location saisonnière au black ; les maires subissent des pressions de la part de la mafia pour les contraindre à donner des permis et il faudrait ouvrir encore d’avantage de terrains à l’urbanisation ?

Pour quel type de développement, quel type de société ?

Les maires qui veulent une adaptation de la loi Littoral ne proposent, en général, qu’une chose dans leur PLU : toujours plus d’espaces ouverts à l’urbanisation toujours plus étalée pour toujours plus de résidences secondaires. Où sont les plans de développement durable de ces communes qui seraient contrariés par la loi Littoral ? Quelles sont ces « contraintes » qui empêcheraient ces communes de se développer et de mettre en œuvre ces plans ?

S’agissant des problèmes engendrés par la superposition des lois Littoral et Montagne pour les communes qui sont soumises aux deux lois :

  • D’abord, dans les espaces proches du rivage, qui recouvrent des superficies très étendues où la pression urbanistique est la plus forte, l’article L. 121-2 du code de l’urbanisme écarte expressément l’application des dispositions de la loi Montagne.
  • Ensuite, il faut rappeler que les lois Montagne et Littoral reposent sur des principes et une philosophie concordants, tendant à lutter contre le phénomène du mitage et l’artificialisation excessive des espaces naturels : extension de l’urbanisation en continuité des agglomérations et villages existants, protection des espaces naturels remarquables et des terres agricoles, recours à la notion de capacité d’accueil des espaces urbanisés et à urbaniser, etc.

La seule différence est que, sur certains points, la loi Montagne est un peu moins contraignante que la loi Littoral.

Par conséquent, dans les communes où s’appliquent les deux lois, les dispositions de la loi Montagne s’effacent naturellement au profit de celles, plus strictes, de la loi Littoral.

Il n’y a donc pas, en pratique, de superposition des normes. Prétendre le contraire participe soit d’une volonté de désinformation, soit d’une méconnaissance du sujet.

Vous avez dénoncé, à juste titre, l’insécurité qui règne en Corse. Insécurité qui a comme principale source la spéculation immobilière. Une superposition sur une carte des assassinats ayant eu lieu ces dernières années en Corse et celle des enjeux spéculatifs sur cette terre saura vous le démontrer. Mais alors, si une réelle volonté de l’enrayer existe, comment expliquer la faillite du contrôle de légalité en Corse sachant que presque tous les PLU annulés au cours de ces dernières années (une trentaine), l’ont été à la suite de l’action en justice des seules associations de protection de l’environnement (U Levante, ABCDE, Garde) ?

Enfin, Monsieur le Président, vous avez rappelé que les Corses aspirent à vivre dans l’égalité. Comment alors justifier, que l’État ne poursuive pas des infrastructures où se sont multipliées au cours des ans les constructions sans permis ? Comment expliquer que les « contraintes » issues de la loi Littoral interdisant de construire dans un espace remarquable s’arrêtent là où commence un certain domaine sur la commune de Sartene et que l’État se soit désisté après avoir engagé une procédure parfaitement fondée ? Comment expliquer qu’un golf empiète de 4 hectares sur un site classé sans que l’avis du Ministre n’ait été requis ? Comment expliquer les constructions à Rundinara ? Comment expliquer que des permis de construire ont été accordés sur des parcelles dont la constructibilité avait été annulée par les tribunaux administratifs à Porto-Vecchio ou à Coti-Chiavari par exemple ? Etc.

Nous tenons à votre disposition tous les dossiers sus-cités et d’autres.

Nous vous demandons, Monsieur le Président, de ne pas toucher à la loi Littoral et d’exiger des services de l’État qu’elle soit, enfin, appliquée à tous, afin que « l’égalité ne soit pas un vain mot » (Pascal Paoli).