GHJUNCAGHJU : à propos du projet de stockage de terres amiantifères

Les méandres du Tavignanu vont-ils devenir un éco (!) système poubellier ? Il s’agit sans doute pour l’État de placer la Corse en pointe pour une expérience inédite : vérifier si un sol perméable se comportera comme un sol imperméable… Mais ce n’est pas la première fois que l’État se trompe lourdement sur le sujet amiante.

Si on prévoit d’enfouir des déblais issus de chantiers dans des zones amiantifères, c’est parce qu’ils sont dangereux. Ils sont susceptibles de contenir des fibres d’amiante à l’état libre : c’est-à-dire qu’une roche amiantifère, brisée par un engin de terrassement ou tout procédé mécanique, libère en même temps des fibres. Et ces fibres sont à l’origine d’un cancer spécifique. Elles sont donc mortelles. C’est la raison pour laquelle les travaux doivent faire, entre autres, l’objet d’une humidification et de procédés de rabattage des poussières, pour éviter de contaminer les riverains. D’autre part, s’il est prévu ce stockage de terres amiantifères à Ghjuncaghju, c’est qu’au niveau de la Corse il y a un besoin urgent d’un lieu de stockage de façon à ne pas repousser plus longtemps les projets.

Concernant ces déblais amiantifères dangereux, la mémoire préfectorale est courte !

Le site de stockage de Teghime

En 2006, pour les déblais issus du terrassement d’édification du parking de la gare à Bastia, l’arrêté préfectoral du 24 mars 2006 avait prévu des règles drastiques pour pouvoir les entreposer dans une ancienne carrière en montant vers Teghime. L’arrêté avait exigé la mise en sous-couche d’un film pour empêcher la migration des fibres et éviter qu’elles ne polluent les eaux souterraines qui ressortent plus bas à Bastia.

L’expérience du site de stockage de Teghime montre que, malgré les précautions, des taux importants de fibres s’étaient échappés dans l’environnement car l’acheminement et le conditionnement des déblais exigent d’être sans faille, ce qui implique que non seulement la zone de réception doit être ultra préparée mais aussi que les engins et surtout les employés soient spécifiquement équipés.

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Le second retour d’expérience concerne l’entretien du lieu de stockage. Il est prévu de déposer à Ghjuncaghju 735 000 m3 de terres amiantifères en 13 ans. Si la DREAL réalise le suivi de ce site de la même façon que celui de Teghime, il y a du souci à se faire vu l’état actuel de ce dernier.

La triste histoire du chantier des immeubles Mandevilla à Bastia, en zone potentiellement amiantifère, a conduit à la reconnaissance de la mise en danger d’autrui par la Cour de Cassation (décision du 19 avril 2017). La Haute Cour a donc jugé que le transport, le déversement, le stockage de ce type de déblais ne sont pas de pure formalité.

La recherche de lieux de stockage pour les déblais amiantifères ne date pas d’hier : la logique ou le bon sens veut qu’ils soient situés le plus près possible des lieux d’extraction les plus importants. Les chantiers les plus créateurs de déblais sont les constructions d’immeubles ou de nouveaux ouvrages routiers. Pour les élargissements ou les entretiens routiers, les maîtres d’ouvrage ont appris à prévoir le remblaiement sur place. De toute façon, pour un chantier situé dans un terrain amiantifère, autant remblayer les surplus dans la même zone puisque, par définition, elle est déjà « contaminée » à l’amiante.

Le rapport BURGEAP

Une étude avait été réalisée, dès avril 2007, il y a plus de douze ans, par le cabinet BURGEAP sur la recherche de lieux de stockage pour les déblais amiantifères. Cette étude a recensé d’anciennes carrières qui se prêtent donc assez naturellement à accueillir des déblais.

Une carrière comportant une capacité en volume considérable, déjà située dans un lieu amiantifère qui présente donc l’avantage de ne pas aller polluer une zone non amiantifère, et dont l’accès a été dûment aménagé pour y recevoir de tels déblais : cette carrière existe ; ce sont les anciens puits de la mine de Canari situés dans la zone principalement riche en amiante du Cap. De plus, c’est le secteur des plus gros chantiers présents et à venir, avec, toujours en vue, la route de contournement de Bastia nord.

Ce site de Canari est aujourd’hui totalement exclu des possibilités envisagées par l’État PUIQU’IL A CHOISI GHJUNCAGHJU. Pour quel motif l’État refuse-t-il que les cratères de Canari servent d’exutoire pour les surplus de déblais des chantiers ?

La première partie de l’étude BURGEAP commençait par évaluer les tonnages prévisibles et par recenser les principaux ouvrages publics et zones de développement en zone amiantifère ; l’étude prévoyait, en 2007, l’extraction de 1 100 000 m3 d’ici à cinq ans, dont le quart en région bastiaise (un autre rapport du BRGM suivait en septembre 2008).

C’est peut-être par-là que l’État devrait recommencer, plutôt que d’aller livrer un fleuve à l’amiante.

La directive de juin 2005

Le principe de précaution implique d’éviter les constructions dans les terrains amiantifères (et donc de ne pas polluer des terres non amiantifères). Par une note datée du 23 juin 2005, quatre directeurs d’administration centrale demandent la limitation du droit à construire dans ces zones « aux travaux non évitables ». A ce titre, les péripéties et les éboulements récurrents du chantier Mandevilla ouvert à Bastia depuis 2012, désormais sept ans, peuvent être considérés comme une conséquence de la non-application de cette directive.

Enfin, le bon sens ne devrait-il pas orienter les services de l’État vers les recherches existantes sur des perspectives de valorisation par l’ADEME elle-même : études sur la neutralisation du chrysotile (nom d’une des catégories des fibres) projet VALMIANTE 2008.

Autrement dit, avant d’aller polluer des zones et, par ricochet, contaminer par ses déblais amiantifères des salariés et des riverains, ne serait-il pas plus judicieux pour l’ État de faire vérifier l’utilisation de procédés qui permettraient d’agglomérer les fibres au matériau rocheux dont elles sont extraites ? Et de permettre à terme une certaine réutilisation de ces déblais ?

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