La pollution atmosphérique peut-elle “encore” avoir des effets à court terme ?

L’introduction du rapport du ministère de la santé rappele les épisodes historiques de La Vallée de la Meuse en Belgique (1930), de Donora aux États-Unis (1948) et de Londres au Royaume-Uni (1952), lesquels ont clairement montré que des niveaux extrêmement élevés de pollution atmosphérique peuvent engendrer, en quelques jours, un excès important de mortalité et d’admissions hospitalières pour affections respiratoires et cardio-vasculaires (Extrapol n° XII 1997, HMSO 1954).

Les progrès technologiques réalisés depuis lors dans les pays industrialisés ont permis de réduire considérablement ce type de pollution, notamment pour le SO2. Pourtant, au cours des dix dernières années, de nombreuses études épidémiologiques ont montré que même des niveaux relativement faibles de pollution sont encore liés à des effets à court terme sur la santé. Il a été ainsi été montré, d’abord aux États- Unis, puis dans de nombreux autres pays, notamment en Europe, que les variations journalières des indicateurs communément mesurés par les réseaux de surveillance de la pollution atmosphérique (dioxyde de soufre-SO2-, particules-FN ou PM10-, dioxyde d’azote-NO2- et ozone-O3) sont associées à une vaste gamme d’effets néfastes allant d’une altération de la fonction ventilatoire à la précipitation du décès chez des personnes déjà fragilisées. Ces effets sont observés pour des niveaux de pollution inférieurs aux valeurs limites d’exposition définies par les normes de qualité de l’air. Ainsi, les résultats de la récente méta-analyse de l‘étude européenne Aphea, conduite sur des données des années 80 (Katsouyanni et al. 1997, Spix et al. 1998) montrent qu’une augmentation de 50 µg/m3 des niveaux journaliers de pollution s’accompagne dans les jours qui suivent :
• d’un accroissement de 1 à 3% de la mortalité totale non accidentelle, de 4 à 5% de la mortalité pour causes respiratoires, et de 1 à 4% de la mortalité pour causes cardio-vasculaires ;
• d’une augmentation de 1 à 3% du nombre journalier d’hospitalisations pour causes respiratoires chez les patients âgés de 65 ans et plus ; de 1 à 8% des hospitalisations pour asthme chez l’enfant ; de 1 à 4% des hospitalisations pour broncho-pneumopathies chroniques obstructives.
De même, l’étude Erpurs menée en Ile-de-France (Medina et al 1997) pour la période 1991-95 a comparé l’incidence de diverses manifestations sanitaires lorsque la qualité de l’air connaissait des niveaux moyens, à celle enregistrée pour les niveaux observés les jours les moins pollués de l’année. Par exemple, en été, il a été observé des augmentations de risque pouvant aller jusqu’à 8% pour la mortalité respiratoire ; 15% pour les urgences pédiatriques à l’hôpital Armand Trousseau ; 22% pour les visites pour asthme effectuées par SOS-Médecins Paris ; 23% pour les arrêts de travail pour causes cardio-vasculaires à EDF-GDF ; 25% pour les hospitalisations pour asthme chez les enfants à l’AP-HP.
Ces études, de type écologique temporelle, sont réalisées au sein de la population générale. Elles étudient l’impact moyen de la pollution pour l’ensemble de la population et non pour chaque individu qui la compose. Elles prennent en compte les facteurs de confusion tels que les variations temporelles (tendances, saisons, rythmes hebdomadaires…), les épidémies de grippe et les périodes de pollinisation, ainsi que les facteurs météorologiques, notamment la température (Le Tertre et al. 1998).

D’autres études sur les effets à court terme de la pollution atmosphérique ont été menées au niveau individuel. Lesétudes de panel ont montré que la pollution atmosphérique constitue un facteur déclenchant de crises d’asthme et de symptômes respiratoires chez des patients asthmatiques. Ainsi, une étude menée à Paris, par l’Unité 408 de l’Inserm (Neukirch RCH et al. 1998, Segala et al. 1998) chez des patients asthmatiques suivis en milieu hospitalier montre l’existence d’un lien à court terme entre des niveaux moyens de pollution hivernale et l’apparition et la durée des symptômes, tant chez les adultes que chez les enfants. Pour un accroissement de 50 µg/m3 de SO2 ou de particules, cette étude montre une augmentation d’environ 30 % de la fréquence des crises d’asthme ; de 35 à 70% des sifflements ; de 35 à 60% de l’incidence de la toux nocturne ; de 33 à 55 % de la gêne respiratoire.

Des diminutions de l’ordre de 2 à 4% des volumes respiratoires ont également été mises en évidence en relation avec la pollution atmosphérique, notamment chez les enfants. Chez les sujets asthmatiques, l’enquête de l’Inserm (Neukirch RCH et al. 1998, Segala et al. 1998) montre des chutes de 4 à 8% des performances ventilatoires en relation avec des augmentations de 50 µg/m3 des indicateurs de pollution.

Signification de ces effets à court terme. Globalement, les résultats des études épidémiologiques sont concordants. Ils montrent qu’environ 3 à 5% de la mortalité quotidienne peut être reliée aux variations de la pollution atmosphérique (QUENEL et al. 1998), ceci indépendamment du type d’étude (écologique ou individuelle), de la méthode d’analyse statistique et de l’indicateur de pollution considéré. Ces résultats sont donc solides, mais quelle interprétation leur donner du point de vue de la santé publique ?
A court terme, les variations journalières des niveaux des polluants surveillés sont encore de nos jours associées à la survenue d’effets sur la santé qui surviennent pour de faibles niveaux de pollution, inférieurs aux valeurs limites d’exposition actuelles ; ces effets se manifestent sans effet de seuil au niveau de l’ensemble de la population ; ils ont une fréquence comparable en termes de gravité quels que soient les indicateurs (mortalité, hospitalisations, symptômes, fonction ventilatoire).
Il demeure néanmoins des interrogations non encore résolues. Concernant la mortalité à court terme, qui meurt ? Des sujets malades, ” fragilisés “, âgés ? Avec quel degré de prématurité ? (Quenel et al.1999). Le degré de prématurité du décès n’est pas homogène dans une population. Ainsi, l’estimation moyenne mise en évidence dans différentes études écologiques temporelles, concernant l’anticipation du décès est de l’ordre de quelques mois, pouvant varier de quelques jours à plus d’un an (Schwarz). Chez les personnes âgées, déjà fragilisées par une pathologie chronique, il serait accéléré de quelques semaines. Les variations de la qualité de l’air sont connues aujourd’hui pour occasionner des décès en lien avec une myocardiopathie ischémique (i.e. infarctus du myocarde). En cas d’infarctus, le pronostic vital se joue dans les premières 24-48 heures. Ainsi, si la pollution atmosphérique vient décompenser le tableau clinique dans ce délai, son impact sur le degré de prématurité du décès pourrait être bien plus important, car une victime d’un infarctus qui en réchappe peut lui survivre pendant longtemps (Schwarz et al. 1995).

La pollution atmosphérique agit, à court terme, sur des sujets asthmatiques, en diminuant les volumes respiratoires, en déclenchant des crises d’asthme, en en augmentant la fréquence, leur durée, le besoin d’automédication et le recours aux soins. Concernant les affections cardio-vasculaires, des études récentes (Schwarz et al. 1995, Schwarz 1997, Poloniecki et al. 1997, Dockery et al. 1999) ont montré un lien entre les particules et l’infarctus du myocarde par le biais d’une diminution de l’oxygénation périphérique et d’une altération de la coagulabilité sanguine. Le monoxyde de carbone, en tant qu’indicateur de pollution automobile, joue un rôle indépendant dans l’aggravation du risque cardiaque (Quenel et al. 1996). La fonction ventilatoire représente une mesure objective des effets de la pollution sur la santé. Chez le sujet sain, les effets sont modestes et réversibles mais cela ne préjuge pas ni d’un impact au niveau de la population dans son ensemble (Künzli et al. 2000) ni d’un impact éventuel à long terme. Chez les sujets malades, la diminution des volumes respiratoires peut déclencher une décompensation aiguë qui peut conduire à un décès.
La discussion sur lacausalité de cette relation, à court terme, entre variations de la qualité de l’air et ces manifestations sanitaires repose sur un ensemble de critères dont ceux établis par B. Hill en 1965 (Hill 1965). Les arguments qui plaident en faveur d’un rôle causal, à court terme, de la pollution sur la santé sont les suivants :
• les différents protocoles d’étude utilisés permettent un contrôle adéquat des principaux facteurs de confusion écologiques et individuels ;
les délais testés entre l’exposition à la pollution et l’effet sur la santé sont compatibles avec les données expérimentales disponibles ;
• il existe une relation croissante entre les niveaux d’exposition à la pollution atmosphérique et les risques sanitaires qui ont été observés ;
• les relations observées sont consistantes et robustes, quelles que soient les populations considérées, les conditions socio-économiques, géographiques et climatiques.
Malgré cet ensemble d’arguments, un minimum de prudence s’impose pour interpréter les résultats de ces études car :
• l’exposition réelle des individus ou de la population dans son ensemble n’est pas connue et est estimée le plus souvent indirectement, ce qui laisse persister une incertitude sur la précision des associations observées entre les variations journalières de pollution et les effets à court terme sur la santé (JANSSEN et al. 1998) ;
• quantitativement, au niveau individuel, les liens observés sont faibles (risques relatifs RR<2), ce qui signifie qu’on ne peut pas totalement exclure qu’ils puissent être pour partie liés à des facteurs non connus aujourd’hui ;
• en l’état actuel des connaissances, il n’est pas possible d’établir de relation exposition-risque qui soit spécifique à un type de polluant ;
• les mécanismes sous-jacents aux effets observés ne peuvent pas être déduits à partir des études épidémiologiques. Les études toxicologiques et expérimentales sont nécessaires pour étudier les mécanismes d’action des polluants.

Enjeux de santé publique
En l’état actuel des connaissances, l’association, à court terme, entre pollution atmosphérique et santé peut être considérée comme “très probablement causale”. Or l’ubiquité de l’exposition et la proportion des populations fragiles (de l’ordre de 12% d’asthmatiques, 5% de personnes atteintes de broncho-pneumopathies chroniques obstructives, 10 à 20% d’affections cardio-vasculaires, près de 10% de personnes âgées de plus de 75 ans), conduisent à un risque attribuable non négligeable. A Paris, par exemple, un excès de mortalité cardio-vasculaire de 2% en relation avec la pollution acido-particulaire représente entre 250 et 350 décès et 22 000 hospitalisations par an (Quenel et al. 1995). En France, un excès de risque dans les villes de plus de 250 000 habitants (19,5 millions de personnes), a été estimé en 1996 entre 2 à 5% de la mortalité cardio-vasculaire en relation avec les particules d’origine automobile, ce qui représentait entre 660 et 1 050 décès précipités par an (Chiron et al. 1996). Aussi, s’il ne constitue pas, aujourd’hui, une urgence de santé publique, l’impact sanitaire des conséquences à court terme de la pollution atmosphérique ne peut être négligé. De plus, ces effets répétés à court terme, sur une longue période, sont de plus en plus mis en cause dans la survenue de conséquences chroniques sérieuses.