Lecture de la politique des déchets de la CAPA

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(Extrait du site de la CAPA : ca-ajaccien.fr)

La crise qui vient

L’année 2016 est, comme la précédente, une année toute en tension sur le front de la gestion de déchets en Corse. Dans l’état actuel des autorisations administratives des centres d’enfouissement et des politiques de tri, il faut prévoir près de 67 000 tonnes de déchets dont on ne sait que faire. A l’heure où l’exécutif territorial essaye de faire avancer le tri à la source et plusieurs autres idées compatibles avec une démarche “Zeru Frazu”, la politique de collecte de la CAPA apparaît comme un point particulièrement important à surveiller.

Le poids de la CAPA dans la production de déchets ménagers

Avec sa population de plus de 80 000 habitants, la Communauté d’Agglomération du Pays Ajaccien (CAPA) est la première collectivité pourvoyeuse de déchets en Corse. Ainsi 33 000 tonnes d’ordures ménagères résiduelles sont parties à l’enfouissement en 2015 sur un total de 160 000 tonnes pour l’ensemble de l’île. Avec, comme partout, un taux de valorisation très faible…

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(Sources : Plan d’action pour la réduction et le traitement des déchets ménagers de Corse et entretiens avec les responsables de la CAPA)

La CAPA déclare avoir pris pleinement conscience du problème. Et il est vrai que certaines actions ont déjà été mises en place:

  • la plus médiatisée est la mise en place d’une collecte au porte-à-porte. Pour le moment, son périmètre est trop restreint pour permettre un effet important sur le tonnage envoyé à l’enfouissement. Seul l’hyper-centre est ainsi concerné (1 800 foyers) et seulement pour les emballages, mais pas pour les biodéchets ou le papier. Le bénéfice est ainsi actuellement d’une tonne par semaine, ce qui est encourageant mais… peu significatif.
  • les points d’apports volontaires de tri sélectif ont été doublés sur l’année 2015 (au bénéfice de la crise précédente) ce qui a eu un impact cette fois significatif : +20% sur les emballages, +17% sur le papier.

Par ailleurs, la prise en compte dans les statistiques de la collecte en porte-à-porte des encombrants et des apports à la déchetterie du Stiletto permettent de déterminer un taux de valorisation de tous les  déchets ménagers à 15,4% pour  2015.

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(Extrait du site de la ville d’Ajaccio : ajaccio.fr)

Le coût de la collecte et du traitement

Depuis 2012 la CAPA est membre du SYndicat de VAlorisation des DEChets de Corse (Syvadec), et n’exerce plus que sa compétence de collecte, le traitement étant effectué par le Syvadec. A ce titre la CAPA a versé en 2015 près de 7 000 000 d’euros au Syvadec à raison de 187 € par tonne de déchet traité en 2015. Ce prix en hausse en 2016 (201 €/t) est encore susceptible d’augmenter avec la crise de cet été. Il faut rajouter le coût de la collecte, équivalent à celui du traitement, pour se rendre compte de la valeur que peuvent représenter les déchets. Pour finir le tableau, le Syvadec n’a pas reversé à la CAPA de prime de tri, hormis pour les emballages (mais toutes les communautés de communes contactées nous ont fait part de difficultés sur ce point).

Quelles réponses de la CAPA ? Dans un premier temps une collecte au porte-à-porte de certains déchets et la création de deux nouvelles déchetteries

La CAPA ambitionne de passer à court terme d’un taux de valorisation des déchets de 15 à 25 % par :

  • Densification des PAV (points d’apports volontaires)
  • Généralisation sur tout le territoire de la CAPA de la collecte en porte-à-porte (sur les 5 000 points de collecte du territoire) des emballages légers (sacs jaunes dans l’hyper-centre et bacs jaunes ailleurs); les bacs jaunes seront verrouillés, les gris et les jaunes seront sortis sur la voie publique à heure déterminée : négociations “serrées” avec les syndics de copropriété !
  • Collecte en porte-à-porte des papiers des administrations ajacciennes (appels à projet lancés)
  • et enfin ouverture de 2 nouvelles déchetteries à Campo dell’Oro et Mezzavia.

Le bilan de cette première étape correspondrait approximativement au résultat non négligeable de 4 000 tonnes de déchets ménagers en moins à enfouir !

Dans une deuxième étape, collecte des biodéchets chez les restaurateurs et cantines scolaires et création d’une plateforme de traitement “adossée” à la station d’épuration (STEP) de Campo dell’Oro

La CAPA évalue à 3 000 tonnes le “gisement” de biodéchets à collecter au porte-à-porte auprès des restaurateurs et cantines scolaires. Ces fermentescibles seront ensuite acheminés vers une plateforme de traitement (à réaliser) voisine de la Station d’Épuration de Campo dell’Oro. Après un dégrillage, moulinage/broyage et ajustement de la teneur en eau de ces fermentescibles, la “soupe” obtenue sera introduite dans le “digesteur” de la station d’épuration de Campo dell’Oro à l’origine de la production de boues qui, après fermentation et centrifugation, sont ensuite expédiées sous forme de galettes à Poghju di Venacu à la Société Lombricorse qui les transforme en compost. Le Syvadec, qui a la compétence du traitement des déchets, aurait accepté de transférer la gestion de la plate-forme de traitement des fermentescibles à la CAPA. Malgré ces avancées, la CAPA estime qu’il ne sera pas possible dans un futur proche d’obtenir un taux de valorisation de plus de 25 % uniquement par une politique de tri sélectif. Le “surcoût” du tri présenterait de plus un risque d’endettement. Une phrase résume leur analyse: “Le tri à tout prix, non merci !”

A l’issue de ces deux premières étapes, quelles solutions faudra-t-il trouver face aux quelque 26 000 tonnes de déchets ménagers non encore valorisées ??

Troisième étape : la solution de l’usine de “tri et de valorisation” proposée par la CAPA

Selon leurs analyses, l’augmentation du taux de valorisation à moyen terme passe ainsi par l’implantation d’une usine de “tri et de valorisation”. Cette ’installation afficherait une performance de 40 % de valorisation des ordures ménagères résiduelles (c’est-à-dire nos poubelles “grises”) qui se ventilent  en :

  • 6 % compost,
  • 3 % métaux,
  • 8 % emballages légers,
  • 23 % matériaux de couverture de casier (de centre d’enfouissement technique).

La CAPA estime qu’ainsi environ 10 000 tonnes d’OMR pourraient être valorisées… et 16 000 tonnes non valorisées resteraient à enfouir.

Ce type d’usine de tri et de valorisation est “dans le catalogue” d’un groupe français (mais pas une multinationale…) opérant en PACA pour un budget d’investissement oscillant entre 20 et 30 millions d’euros.

A l’issue de la visite de Mme Ségolène Royal le 13 juin 2016, M. Jean-Jacques Ferrara a déclaré à Corse Net Infos :

“Avec le député-maire d’Ajaccio, nous sommes aussi satisfaits que la Ministre de ce tour de table. Elle a conscience de notre volonté politique, des moyens que nous mettons à disposition sachant que le maire de la commune et le président de la CAPA disposent d’un terrain sur lequel il serait installé une usine de traitement. Tout cela est très positif et il est évident, comme je le dis depuis de nombreuses semaines, cette unité de tri et de valorisation s’inscrit pleinement dans la loi sur la transition (énergétique) (…) nous allons travailler en collaboration étroite avec les services de l’État localement et les services du ministère pour affiner notre projet et faire en sorte qu’il soit compatible avec cette loi afin que nous puissions rapidement le mettre en place et bénéficier financièrement du soutien de l’État”.

L’avis d’U Levante sur la stratégie de gestion des déchets de la CAPA et, en particulier, sur le projet de l’usine de tri et de valorisation

La CAPA affiche l’ambition de “prendre le taureau par les cornes” pour la collecte au porte-à-porte des emballages (sacs ou bacs “jaunes”) : après un démarrage symbolique mais difficile dans l’hyper-centre ajaccien, ce sont tous les territoires (urbain, péri-urbain,…) qui seront concernés à très court terme. La création de deux nouvelles déchetteries va permettre, n’en doutons pas, de faciliter le “geste citoyen” élément clé dans la résolution de la crise des déchets. Pourquoi alors ne pas persévérer plus avant dans cette démarche ? Pourquoi ne pas profiter des bonnes habitudes qui ne manqueront pas d’être prises par les habitants de la CAPA en généralisant la collecte au porte à porte :

  • des bio-déchets
  • des papiers/journaux
  • voire du verre ?

Cela apparaît comme un manque de confiance dans la capacité de la population de la CAPA à changer ses habitudes… ceci dit la mise en place d’une fiscalité incitative faciliterait grandement la démarche !

Plus grave encore, la mise en route d’une usine de “tri et de valorisation” serait d’un point de vue psychologique très démobilisatrice : “pourquoi faire des efforts ? La “machine” fera le travail à notre place !” et se transformera en “aspirateur” à ordures ménagères non triées.

Quoi qu’on en dise, la compatibilité d’une telle usine, avec la loi de transition énergétique et les financements qui vont avec, reste encore largement à démontrer. Le premier principe de la collecte et du traitement des déchets dans une optique environnementale est le tri sélectif à la source, ce qui n’est clairement pas l’objectif visé par cette installation.

On peut également s’interroger sur la performance réelle d’une telle usine ; rappelons que sur les 40 % de taux de valorisation affichés, 23 % correspondent à des « matériaux de couverture de casier » : in fine, lesdits matériaux seront donc enfouis !

Il apparaît par ailleurs totalement invraisemblable que la CTC (voire le Syvadec) puisse participer au financement d’une telle installation en totale contradiction avec sa “feuille de route” : la capacité d’autofinancement de la CAPA pourra-t-elle assumer 30 millions d’euros ?

Enfin, les délais d’étude, d’enquête publique, d’autorisation, puis de construction et de mise en service d’une telle installation, si elle doit voir le jour, seront de l’ordre de trois ans, voire plus : les 7 à 10 000 tonnes annuelles de biodéchets produites par la population de l’agglomération ajaccienne seront-elles longtemps tolérées dans les centres d’enfouissement technique (CET) de Vicu, Viggianeddu ou autre Tallò ?

A l’inverse, ne pourrait-on pas imaginer l’installation d’une plate-forme de compostage urbaine tel que préconisée dans le plan d’action de l’Exécutif territorial

  • plus “rustique” et donc plus robuste
  • plus économe pour les finances communautaires
  • radicalement plus efficace pour supprimer l’enfouissement des biodéchets, dont les nuisances sont à l’origine de la révolte légitime des riverains des CET ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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