Les ESA pour les Nuls : quels sont les critères d’éligibilité des espaces identifiés ESA ?

U Levante a adressé à la commission d’enquête relative à la modification de la carte des ESA l’observation ci-dessous.

En préambule : L’enquête publique sur la nouvelle cartographie des Espaces Stratégiques Agricoles (ESA) du PADDUC voit passer un nombre impressionnant de remarques erronées sur les critères de définition des ESA du PADDUC pour demander la non-sanctuarisation de certaines terres agricoles. Qu’il s’agisse des mairies ou des professionnels de l’urbanisme, la mauvaise foi semble n’avoir aucune limite tant la spéculation foncière est devenue une donnée de la vie politique corse. Ce manque flagrant de vision politique nous incite à rappeler certaines informations objectives permettant de repérer les actes de « pulitichella » qui foisonnent lors de cette enquête publique …

La potentialité agronomique des sols de Corse a été étudiée par des ingénieurs agronomes du Ministère de l’Agriculture en partenariat avec les ingénieurs pastoraux de la Collectivité de Corse (à l’époque le Service Régional d’Aménagement Forestier de la Corse). Entre 1975 et 1981, ils ont parcouru et cartographié toute la Corse (à l’exception de la plaine orientale et du Niolu), s’appuyant sur les recherches expérimentales et de terrain des techniciens des Chambres d’Agriculture, du Parc Naturel Régional, de la SOMIVAC, de la Direction Générale de la Recherche Scientifique et Technique (DGRST) et du savoir des éleveurs locaux.

Ces études ont conduit le ministère à éditer les cartes dites SODETEG (Éléments pour un zonage agro-sylvo-pastoral de la Corse » au 1/25 000ème). Ces cartes  indiquent la valeur agronomique des terres selon un code de couleurs. 

Les codes ont été attribués selon les potentialités pastorales des terres :

  • UF/ha/an signifie Unités Fourragères par hectare et par an
  • U.O.C./ha/an signifie Unités Ovines ou Caprines par hectare et par an 

Le Padduc a retenu comme ESA les terres codées CP1, CPE, CPB1, CPB2, CP3, CP4, CPB3, P1 et P2, C, V, J, v ( Livret IV, page 144 ). 

Ce sont les terres ayant un fort potentiel agronomique ou un potentiel moyen mais de faible pente et donc mécanisables. La Classe CPB4 n’apparaît pas car il n’existe aucun espace CPB4 sur la carte SODETEG de Corse. 

Pour les espaces non cartographiés par la SODETEG sur la plaine orientale, le PADDUC s’est appuyé sur le travail de l’ODARC (édité en 2012) : le Référentiel Pédologique Approfondi (RPA) qui cartographie au 1/25 000ème les aptitudes culturales des sols. La méthode de ce RPA est accessible depuis le lien suivant sur le site de l’ODARC : http://www.odarc.fr/modules.php?name=Sections&sop=viewarticle&artid=69&mmg=3,190

Lors des réunions préparatoires à l’élaboration du Padduc, pour l’ensemble des participants (U Levante avait participé à toutes les réunions), le caractère dominant des ESA a été la potentialité agronomique du sol : le critère de pente n’est pas prépondérant dans les ESA, il n’est que subsidiaire pour répondre à un besoin de modernisation des cultures. 

Aussiil a été convenu lors du COPIL du 27 juin 2014 de classer en ESA les espaces P1 et P2 dont la pente est inférieure à 15 %. Les autres codes retenus ne l’ont été qu’à partir de la valeur agronomique des espaces quelle que soit leur pente. 

Le tableau  du Livret IV, page 144 est très clair sur les critères ayant servi à déterminer les ESA du PADDUC :

Il est également indiqué dans le livret IV, page 144, orientations réglementaires du Padduc, que le critère de pente inférieure à 15 % n’est applicable qu’aux codes P1 et P2 (et pas aux autres codes).

Le livret II (PADD), orientation stratégique n°13, page 269, n’ajoute la notion de pente (sous la forme du terme utilisé « mécanisables* ») que pour les espaces « cultivables** à potentialité agronomique » (c’est-à-dire les P1 et P2) tandis que cette notion de pente n’est pas prise en compte ni pour les « espaces pastoraux à forte potentialité » ni pour les espaces équipés d’un équipement structurant d’irrigation.

* Mécanisable se réfère à une possibilité de cultiver le sol avec un engin mécanisé comme un tracteur (et oui c’est plus facile si la pente est inférieure à 15% !)

** Cultivable est la potentialité agronomique du sol (assez riche pour produire une culture). 

La Corse n’est pas plate, peu de terres sont mécanisables à part celles des plaines. En revanche il y a beaucoup d’espaces cultivables sur des terrains pentus. Autrefois en Corse, chaque famille utilisait le moindre espace cultivable (culture vivrière) pour des céréales ou jardins ou vergers. Si la pente était trop forte, ils construisaient des restanques (a ricciata).  Nos ancêtres ne s’arrêtaient pas au caractère de « pente inférieure ou égale à 15 % », ils cultivaient avec leurs bras et leur sueur. Il ne faut pas oublier que le PADDUC a aussi une dimension culturelle : la préservation des terres cultivables que nos aïeuls ont travaillées. Aujourd’hui, bon nombre de villages remettent en culture ces espaces, y compris les petites parcelles proches des habitations, en tant que « jardins partagés ». Le schéma suivant extrait de la méthode qui a conduit à produire la carte SODETEG (page 20) est très explicite. La possibilité de cultiver des terres est possible au-delà des 15 % de pente : c’est la majorité des terres fertiles de la Corse. En culture de montagne, le gyrobroyage et la fertilisation mécanisée sont pratiqués jusqu’à 50 % de pente. 

A contrario, un terrain plat n’est pas forcément cultivable : dans le cadre de l’élaboration de son PLU, la commune de Furiani avait identifié comme ESA des dunes sableuses du cordon littoral du lido de la Marana (notre article :  https://www.ulevante.fr/furiani-comment-faire-prendre-non-pas-des-vessies-pour-des-lanternes-mais-des-terres-sableuses-pour-des-terres-agricoles/). Elle a depuis abandonné ces ESA aberrants.

Conclusions

Comme dit plus haut, le livret II (PADD), orientation stratégique n’ajoute la notion de pente que pour les espaces cultivables à potentialité agronomique, tandis que cette notion de pente n’est pas prise en compte pour les espaces pastoraux à forte potentialité et pour les espaces équipés d’un équipement structurant d’irrigation.

  • En 2015, la première série des cartes des ESA présentées en enquête publique ne couvrait pas tout le territoire et la deuxième série ne correspondait pas du tout à celles retenues par les comités de pilotage puisque des milliers d’hectares (estimation du tribunal administratif) d’ESA n’y figuraient pas (effacés ?). Des communes s’engouffraient alors dans la brèche et, avec le même avocat, déféraient le Padduc au TA et obtenaient l’annulation de la cartographie des ESA.
  • En 2020, les détracteurs du Padduc écrivent des observations concordantes pour démolir autrement les ESA.

Tout le monde a le droit d’avoir des propriétés et de défendre ses intérêts personnels, sauf que dans ce cas il s’agit toujours de foncier privé sans aucun lien avec des projets d’intérêt général…

Cependant lorsqu’un élu, et de surcroît d’un élu proche de ou appartenant à la majorité de la Collectivité actuelle, écrit au nom de sa commune, ce type d’observation répétée, il envoie un signal très inquiétant.

Qui tire les ficelles en activant les uns et les autres (dès le début de l’enquête des observations très « pointues » ont été déposées) afin qu’ils lui fournissent, via la commission d’enquête, des motifs pour accéder à une demande de révision plus large de la cartographie et à une révision accélérée du Padduc ?

Pourquoi ceux inscrits dans le fil historique de la défense de la terre Corse n’interviennent-ils pas pendant l’enquête publique, en gage de cohérence avec leurs convictions anciennes ?  

U Levante demande l’inconstructibilité des terres les plus fertiles de la Corse… plates ou pentues, et l’application du PADD.

Collines pentues cultivées…