PADDUC : la « compensation » des Espaces Stratégiques Agricoles rendus urbanisables

La “compensation” des ESA ? Ou comment l’exception est érigée en règle absolue

Alors que des jeunes agriculteurs sont dans l’impossibilité de s’installer faute de foncier disponible, que la Corse importe des milliers de tonnes de fourrage, les plaines, le moindre arpent de terre agricole sont livrés aux pelleteuses pour y dresser des lotissements. Ainsi des Espaces stratégiques agricoles, les ESA, terres à forte potentialité, à faible pente, mécanisables et irrigables, officiellement inconstructibles, dûment cartographiés, sont « consommés », c’est-à-dire voués à être urbanisés, condamnant l’autosuffisance alimentaire, un des piliers du PADDUC, à n’être plus qu’une chimère.

Extrait de la carte n°9 du PADDUC : les ESA sont en jaune

 

En effet, depuis l’adoption du PADDUC, lors de l’examen des documents d’urbanisme, on constate qu’un argument est souvent mis en avant pour justifier la consommation ((joli nom pour « l’urbanisation » !) des Espaces stratégiques agricoles, pourtant, en principe, délimités, quantifiés et sanctuarisés par le PADDUC : la « compensation ».

Ainsi nous dit-on que la commune aurait « compensé » l’urbanisation d’ESA en trouvant ailleurs des terres « équivalant ESA » permettant d’annoncer que la surface indiquée dans le document d’urbanisme est égale, voire supérieure, in fine, malgré cette consommation, à la surface des ESA ventilée et cartographiée par commune dans le PADDUC.

Il faut, pour apprécier à sa juste valeur ce tour de passe-passe, examiner d’abord la finalité et le statut des ESA dans le Padduc.

1 – Les ESA du Padduc :  finalité et statut.

  • Finalité des ESA : Le Padduc consacre de longs développements aux ESA notamment dans le Livret II « Projet d’aménagement et développement durable », le Livret III « Schéma d’Aménagement territorial », le Livret IV « Orientations réglementaires ».

Pourquoi ? Parce que « Les Espaces stratégiques agricoles ont une fonction économique et sociale ; ils répondent à ce titre à l’objectif d’un développement plus endogène ; ils ont en outre une fonction environnementale en matière de paysages, de coupures d’urbanisation, de prévention des risques naturels et de préservation de la biodiversité. Leur préservation concourt ainsi à l’équilibre recherché par le Padduc entre les perspectives de développement et de protection des territoires. » (livret IV , p 49, Livret III p 67). Toute consommation illégale d’ESA est donc une atteinte à l’environnement.

Selon L’orientation stratégique N° 14, intitulée « préserver les espaces nécessaires au maintien et au développement des activités agricoles, pastorales et sylvicoles », il faut, « compte tenu de la rareté du foncier agricole et notamment cultivable, au vu des évolutions de l ‘étalement urbain, entre pression foncière et sous mobilisation », « protéger et maintenir les terres cultivables et à potentialité agropastorale, ainsi que les terres cultivables équipées d’un équipement public d’irrigation ou en projet d’équipement, au titre des Espaces stratégiques, soit a minima 105 000 ha »(Le PADD p 269). L’objectif d’atteindre à moyen terme l’autonomie alimentaire dépend, bien entendu de la préservation des ESA.

Tout document d’urbanisme, pour être légal , doit être compatible avec cette orientation.

« Le maintien de ces espaces dans leur vocation doit être garanti , notamment dans les documents d’urbanisme et vis-à-vis des autorisations d’urbanisme. Cette préservation est au service du projet agricole dans toutes ses dimensions (économique, sociale, paysagère et environnementale). » (Livret III , p 65).

  • Statut des ESA :

 Pour que cette finalité ne soit pas un vœu pieux, le Padduc définit un statut des ESA qui se fonde sur un principe rappelé à plusieurs reprises dans les livrets cités supra : « Tous les espaces agricoles cultivables et à potentialités agronomiques sont classés par le Padduc en Espaces Stratégiques agricoles. Ces espaces sont inconstructibles, à l’exception des constructions et installations nécessaires à l’activité agricole, aux équipements collectifs ou d’intérêt général ou à des services publics, ainsi qu’à des activités économiques liées à l’exploitation des ressources naturelles locales. »

Conséquence : « le Padduc n’admet pas de modification de la destination des ESA au sein de ces espaces » (Ex : Livret III, p 67). On peut dire que ce principe est la pierre angulaire de la justification du traitement des terres agricoles par les documents d’urbanisme.

Les exceptions à l’inconstructibilté des terres agricoles dont les ESA :

Le Padduc rappelle que , bien entendu « les dispositions législatives et réglementaires en vigueur restent applicables sur le territoire , ainsi que les règles supérieures au Padduc comme les  lois « Littoral » et « Montagne » ou des documents comme le SDAGE » (Livret IV, p49).

Le Padduc rappelle de manière très précise, (en application d’ailleurs de ces dispositions légales), que les ESA « sont régis par un principe général d’inconstructibilité » (L 145-3-1 C U) et que donc, dans ces espaces  « peuvent seuls être autorisés :

les constructions et installations strictement nécessaires tant en superficie qu’en volume, au fonctionnement et au développement d’une exploitation agricole ou pastorale significative,

– les constructions à usage de logements liées et nécessaires à l’exploitation agricole dans la mesure où celle-ci requiert une présence permanente toute l’année en considération de la nature de l’activité et de la charge générée,

– afin de réduire la consommation d’espaces agricoles et dans le respect de leur fonctionnalité, les bâtiments afférents à une même exploitation doivent être regroupés,

– le changement de destination des bâtiments désignés par le règlement du document local d’urbanisme en zone agricole, dès lors que ce changement de destination ne compromet pas l’activité agricole du site (il ne s’agit donc pas d’autoriser des constructions nouvelles à usage d’habitation),

– les constructions et installations nécessaires à des équipements collectifs ou à des services publics mais à la condition qu’elles ne soient pas incompatibles avec l’exercice d’une exploitation agricole ou pastorale » (livret IV p 49 et 50). 

2 – La compensation – « retranscription » alibi de la destruction des ESA.

A la lecture des exceptions autorisées par le Padduc (et la loi) on peut constater que l’artificialisation des terres agricoles n’est possible que dans des cas précis, très limités, et que l’ouverture à l’urbanisation des ESA est en totale contradiction avec le statut et la finalité de ces espaces et des terres agricoles en général.

Pourtant, l’examen de chaque document d’urbanisme en Commission territoriale de préservation des espaces naturels agricoles et forestiers, la CTPENAF, révèle qu’un argument récurrent est avancé : selon le Padduc, les communes doivent « retranscrire » les ESA, en retenant les critères définis dans ce texte, et justifier, in fine, d’une surface d’ESA équivalente à celle mentionnée dans le Padduc (principe de « solidarité »). Par voie de conséquence si cette surface est, en gros, égale à celle indiquée dans ce document, la consommation des ESA du Padduc est légale.

Une commune, selon cet argumentaire, qui aurait réussi à découvrir sur son territoire des terres agricoles jusqu’alors jamais recensées comme telles, répondant aux critères qualitatifs du Padduc (pente inférieure à 15 % et potentiel agronomique ou caractère cultivable (pente inférieure ou égale à 15 %) et leur équipement par les infrastructures d’irrigation ou leur projet structurant d’irrigation) pourrait donc automatiquement consommer des ESA du Padduc pour ouvrir à l’urbanisation des ESA ou étendre des zones à urbaniser à partir des ESA.

Si l’on peut admettre une telle démonstration pour des surfaces marginales, l’avalanche des terres ainsi compensées par les communes relève plus d’un troc de terres de bonnes potentialités contre des champs de cailloux.

Cette supercherie constitue une violation du Padduc.

Le fait d’avoir, soi-disant, trouvé de nouvelles terres agricoles, répondant aux critères du Padduc, ne justifie pas la consommation des ESA sauf à violer le principe rappelé avec force : « le Padduc n’admet pas la modification de la destination des sols au sein de ses espaces. » !

Pour ouvrir à l’urbanisation des ESA, il faut aussi que la commune concernée démontre, en respectant le principe d’équilibre (L121-1du C U) qu’elle n’a pas, sauf à ne plus pouvoir construire de logements, d’autres possibilités que de solliciter cette ouverture, limitée et exceptionnelle, à l’urbanisation d’une partie de ces terres agricoles.

Ce qui suppose, notamment, la démonstration que l’évolution démographique prévisible, compte tenu de celle passée, justifie pour le futur ce besoin de logements, que le foncier résiduel disponible ne suffit pas  à satisfaire ce besoin démontré, qu’il n’y a pas d’autres zones non agricoles ou naturelles qui permettraient de satisfaire ce besoin  de logements nouveaux, que la mixité sociale sera assurée, que les équipements collectifs correspondants seront suffisants comme aussi les ressources en eau,  que la station d’épuration sera conforme et proportionnée aux nouveaux besoins, que ces constructions n’affecteront pas des zones protégées (Znieff , Natura 2000, etc.) ou ne violeront pas la loi Littoral ou Montagne, etc.

Ce n’est qu’après avoir satisfait à toutes ces contraintes légales que le document d’urbanisme pourra solliciter de consommer, à titre exceptionnel, des ESA.

La « compensation » des ESA alléguée par les communes n’est donc, dans la plupart des cas, pas acceptable et viole le Padduc.

Le terme « compensation » est d’ailleurs très trompeur : la terre, une fois bétonnée, est morte, pour toujours, et rien ne peut « compenser » cette destruction irréversible sauf à se payer de mots, sauf à mentir, délibérément, et à choisir d’hypothéquer cette vitale et irremplaçable ressource naturelle limitée en Corse, comme le rappelle le Padduc.

Tant de démagogie et de légèreté dans le traitement de ce problème fondamental a de quoi écœurer le plus blasé. Tout ça pour ces tours de passe-passe, ce déni du Padduc (devenu un gros mot, imprononçable dans les médias), ces petites ou grosses magouilles pour satisfaire des appétits mafieux ou électoraux ?

La « compensation » c’est l’autodestruction de notre terre par ceux qui devraient la défendre.