Pietra Mare : quand la légalité le dispute à l’absurdité

Au regard des évidences et du réalisme climatique, n’aurait-on pu croire reléguées aux errements du passé les constructions front de mer/pieds dans l’eau ? D’autant qu’y mettant son grain de sel la loi était venue, comme la mer pour le trait de côte, faire reculer cette aberration urbanistique. Mais contre vents et marées, là où la loi ne l’a pas interdit, l’hérésie immobilière continue de s’en donner à cœur joie. Ainsi, défigurant le bord de mer de la commune de San Martinu di Lota et empiétant sur la plage de galets de Pietranera, s’érige actuellement « Pietra Mare ». Une résidence construite à flanc de falaise, en contrebas de la route départementale, comptant vingt-trois logements de haut standing.

Creusement des fondations – Photo Via Stella

Incontestable, la légalité de l’opération l’est ! Situé au cœur d’une zone urbanisée, le petit lopin de terre de 2 000 m2 convoité échappait à l’interdiction d’édifier dans la bande des 100 m, édictée par la loi Littoral. De ce fait, accordé en 2015, modifié à deux reprises en 2017 et 2018, le permis de construire a passé sans encombres l’étape du contrôle de légalité de l’État, sans faire l’objet d’aucun recours.

En 2015, ce qui aurait fait obstacle à la rapacité de promoteurs prêts à exploiter le moindre mouchoir de poche encore constructible pour réaliser de juteuses opérations immobilières, la mairie avait la possibilité de préempter et d’acquérir le terrain. Mais au prix d’achat de celui-ci, il aurait fallu ajouter le coût de la construction d’une base nautique ou d’un centre aéré, projets d’intérêt général soutenus par une association de riverains et divers élus. Un investissement global chiffré à quelque deux millions d’euros auquel la commune, dit-elle, n’aurait pas eu les moyens de faire face. Dommage ! Mais, comme l’a précisé la mairesse actuelle à CNI, « à cette époque, les projets de la mairie étaient tournés vers le haut de la commune ».

Outre sa légalité, le second mérite de ce projet tiendrait au fait que, selon l’édile toujours, celui-ci serait conforme aux prescriptions du PLU adopté dès 2013. Bonne nouvelle puisque dans ces conditions, les 4 étages des constructions prévues ne pourront s’élever au-dessus du niveau de la route. Cerise sur le gâteau et preuve qu’il est possible de conjuguer intérêt public et intérêt  privé, la mairesse se félicite d’avoir obtenu des promoteurs l’aménagement du toit de cette résidence en une place publique. Seuls l’entretien des lieux et le coût du mobilier urbain seront à la charge de la commune. Ainsi, à peu de frais, les habitants disposeront prochainement de quelque 1 000 m2 où palabrer, laisser les bambins gambader voire se livrer à des parties de boules. Au-dessus de la tête des résidents du 4ème…

Sises à quelques mètres d’un bord rocheux, inlassablement grignoté par les vagues et la houle, ces constructions et leur sécurité auraient soulevé diverses inquiétudes. Infondées  car d’inquiétudes, aucune à avoir ! « Les constructions sont situées dans un secteur qui n’est pas exposé au risque de submersion marine », affirme la mairie. En charge de l’instruction du dossier, ce que les conclusions de la DDTM seraient venues confirmer. D’ailleurs, explique-t-on, le premier niveau de construction étant situé à 9 mètres 80 au-dessus du niveau de la mer, « en cas de vague de submersion, bien d’autres immeubles risquent d’être menacés ! » Oyez oyez, futurs résidents ! Non seulement vous allez jouir de l’immense privilège d’être exposés aux embruns marins, aux vagues d’une mer démontée, aux nuits de Libecciu déchaîné mais, à devoir être un jour submergés, quel réconfort ! Vous ne serez pas les seuls…

D’ordre technique cette fois, certaines questions seraient-elles à leur tour infondées ? Qu’en est-il, par exemple, du risque de déstabilisation du grand mur de soutènement retenant la route ? Quid par ailleurs des évacuations des eaux usées ? Des pompes de relevage surpuissantes sont-elles prévues ou… des rejets en mer ? Quid encore de la dégradation des matériaux (menuiserie, câbleries, réseaux, évacuations etc.) dans un environnement salin hautement agressif ? Des protections face aux tempêtes sud-est à nord-est devront-elles être mises en place ? Les foudres de la mer devront-elles être contenues, ou tenter de l’être, par enrochement ? À n’en pas douter, des investissements en perspective aux frais d’administrés enchantés.

Nouvelle plaie dans le paysage littoral du Cap Corse, au bénéfice de vingt-cinq logements à peine mais vendus au prix de 7, 8 voire 10 000 euros le m2, l’incommensurable absurdité que donne à voir « Pietra Mare » engendre colère et accablement.

Viendra-t-il le jour où le chant envoûtant des profits de la « bétonite » ne sera plus que réminiscence ? Comme pour l’adoption d’une loi climat digne de ce nom, il y a résolument urgence…