Plan Territorial de Prévention et de Gestion des Déchets – L’avis de “Corsica Pulita”

Une remarquable analyse de cette nouvelle coordination !

“Suite à l’enquête publique, vous aurez en charge d’émettre votre avis sur le projet de Plan Territorial de Prévention et de Gestion des Déchets. Il s’agit d’un acte majeur, sans doute déterminant pour l’avenir de la gestion des déchets en Corse, le niveau de pression fiscale qui l’accompagne, la qualité de notre environnement et notre santé.

Le Président de l’Office de l’Environnement de la Corse et l’Exécutif souhaitent semble-t-il créer une rupture technologique en fondant le Plan sur la filière CSR/Valorisation énergétique.

Comme si les échecs des politiques de tri avaient pour cause l’absence d’incinération !

Notre Collectif Corsica Pulita, composé de 17 associations et collectifs d’associations de Corse (15 associations et collectifs de défense de l’environnement et de la santé et 2 comités anti-mafia), a analysé le PTPGD dans le détail et a informé le public sur le site www.corsicapulita.com.

Nous vous donnons, ci-après, une lecture transversale des éléments exposés dans le site et vous invitons à les prendre en considération.

1) Un plan basé sur un très haut niveau d’incertitudes

Le scénario unique du Plan repose sur la faisabilité immédiate des marchés de conception, réalisation, exploitation et maintenance des centres de tri de Monte (Grand Bastia) et de Sarrola (Grand Ajaccio). Le premier est attibué pour un montant de 248 millions d’euros. Le second est lancé, non attribué, mais sera peut-être retiré pour être relancé !

Ces centres de tri sont destinés à :

  • surtrier les ordures ménagères et stabiliser ou sécher la fraction fine et humide,
  • produire du Combustible Solide de Récupération avec la partie plus grossière des OMR et avec le tri du tout venant de déchetteries,
  • surtrier les déchets des activités économiques et les emballages, et orienter une partie de l’ensemble de ces flux vers le recyclage.

1.a Des choix d’implantation des centres de tri très contestables et une incertitude assumée sur le nombre, la dimension et le positionnement des incinérateurs

Le scénario unique que M. le Président de l’Office de l’Environnement souhaite soumettre au vote ne tient pourtant qu’à un fil :

  • le socle juridique du projet de  Monte, défini par le Syvadec, est extrêmement fragile car la construction du Centre est prévue sur un terrain non constructible (c’est un ESA sur une commune sans document d’urbanisme),
  • pour le centre de tri prévu Ajaccio/Sarrola les questions foncières ne sont pas encore réglées et des questions essentielles de compatibilité environnementale et sanitaire vont se poser par rapport à la proximité du fleuve Gravona, d’une école et des habitations… et une forte opposition est déjà mobilisée.

Ces centres de tri sont « seulement » les unités de préparation des CSR. Ils s’apparentent à des installations de tri-mécano-biologiques telles que définies par les textes, à savoir des installations permanentes destinées notamment à un tri des ordures ménagères résiduelles. Le compost produit dans ces installations sera réglementairement considéré comme un déchet au 1er janvier 2027. Le projet est-il de le sécher pour l’incinérer ?

Les difficultés de choix et d’implantation des sites d’incinération seront certainement juridiquement et socialement encore plus délicates que celles posées aujourd’hui par les centres de tri. Ce constat empêche-t-il d’ores et déjà de déterminer les lieux d’implantation des incinérateurs ? Le plan ne détermine d’ailleurs pas le nombre d’unités de valorisation énergétique et évoque les possibilités d’en créer une ou deux. Incertitude assumée par le Président de l’Office de l’Environnement de la Corse lors d’un débat en date du 14 février 2023 sur Via Stella (émission « In Tantu ambiente »).

La filière principale du Plan déchets repose donc sur des choix effectués par le Syvadec avant la clôture de la procédure d’élaboration du Plan.

1.b L’incertitude et l’inexactitude des chiffres

1.b.1 La forte incertitude sur les gisements

Les gisements de DMA correspondent à ceux annoncés dans les rapports annuels du Syvadec (rapport 2021) et les évolutions possibles sont calculées sur des évolutions de population qui correspondent à la tendance observée en Corse. On peut toutefois s’interroger sur les gisements de déchets verts retenus provenant des DMA avec un doublement par rapport à ce qui est aujourd’hui collecté en déchetterie. Plus problématique est le chiffre retenu pour les biodéchets avec au mieux 18 200 tonnes collectées en 2033. Ce chiffre marque d’emblée un manque d’ambition évident sur une collecte séparative car le gisement global des biodéchets se situe entre 40 000 et 50 000 tonnes en Corse. Il correspond bien à une volonté des concentrer les investissements et les dépenses d’exploitation sur les seules usines en rendant secondaire le traitement des biodéchets en proximité.

L’incertitude sur les gisements des DAE/BTP relève du grand écart : 655 000 tonnes retenues pour un gisement estimé entre 400 000 et 1 200 000 tonnes.  L’étude de gisements n’a simplement pas été menée, le Plan reprenant les évaluations de différents organismes, sans qu’elles aient été vérifiées par des enquêtes sérieuses. Il est impossible dans ces conditions de prévoir le nombre et la taille des équipements permettant de traiter les déchets de ces filières.

1.b.2 L’inexactitude des chiffres

L’inexactitude des chiffres que nous démontrons sur www.corsicapulita.com ne peut être le fait du hasard. Tous convergent vers un seul objectif : montrer que le scénario volontariste 2027 /2033 atteint l’objectif de valorisation matière réglementaire de 65 %. Tous les abus possibles sont constatés :

  • 410 000 tonnes d’inertes comptabilisées dans les chiffres de valorisation en contradiction totale avec les textes réglementaires.
  •  Tonnages de mâchefers sous-estimés de moitié : 12 % des CSR brûlés dans les scénarii alors que le texte du plan indique avec raison un taux de machefers de 20 à 25 %.
  • Mâchefers comptabilisés à 100 % en valorisation alors que plus d’un tiers des mâchefers produits en France sont envoyés en enfouissement… et que nous considérons à l’analyse des textes réglementaires (arrêté du 18/11/2011) et du réseau routier corse qu’il ne serait pas possible, sauf exception ponctuelle, d’utiliser régulièrement les mâchefers en technique routière. Ainsi nos calculs affectent 100 % des mâchefers à l’enfouissement.
  • REFIOM non comptabilisés dans les pourcentages de déchets enfouis. Ce sont certes des produits dangereux, mais ils sont bien issus du procédé de traitement des déchets et non d’une autre production industrielle. Ils doivent bien être comptabilisés dans les refus du procédé de traitement et ne pas disparaitre des statistiques.
  •  Déchets verts surévalués.
  • Addition des pourcentages fantaisistes avec des additions à 102 % et 103 % pour les 4 scénarios du Plan.

Comme la Cordination Corsica Pulita le montre dans le site internet à votre disposition, le taux de valorisation matière se situe à 43,1 % contre 65 % annoncés, et le taux de d’incinération en UVE à 30,2 % contre 14 % annoncés. Le taux de déchets enfouis de la filière DMA sera d’au moins 22,2 % pour 10 % autorisés par la Loi.

1.c L’absence d’étude sur la filière CSR et l’absence de prévision des installations de traitement en aval de l’incinération

Dans la motion 2021-035AC (février 2021), l’Assemblée de Corse :

« CONSTATE ne pas disposer en l’état, de données pertinentes pour retenir le traitement des déchets résiduels par fabrication et valorisation des CSR.

DEMANDE que soit produite au plus vite une étude technico-économique visant à clarifier la pertinence et la faisabilité de cette option pour la Corse. »

Depuis lors, la filière CSR n’a, à notre connaissance, fait l’objet d’aucune étude spécifique. Pourtant annoncée à maintes reprises, cette étude a fait l’objet d’un appel à candidature publié par l’Office de l’Environnement de la Corse, mais n’aurait pas été attribuée.  

Le plan, page 166, annonce qu’une étude a été réalisée, mais ne cite aucune référence. Les citoyens sont en droit d’attendre du Plan des choix argumentés et sûrs. Opposables aux tiers, les choix du Plan doivent s’appuyer sur de réels fondements techniques, financiers et organisationnels, et non sur de simples hypothèses non étudiées.

L’état d’avancement des études de la filière CSR ayant soutenu la réalisation du Plan est résumée en conclusion des notes de cadrage 8 et 9 (pages 605 à 614 du Plan) consacrées respectivement aux filières CSR et UVE. Ces notes exposent de simples éléments de réfléxion et non de réelles solutions techniques dont la faisabilité est démontrée :

« L’INCINERATION EN CORSE

Dans le cas du territoire Corse, trois points de vigilance seront à lever pour assurer la fiabilité économique d’un tel projet :

1. Identifier des consommateurs d’énergie publics ou privés pour la valorisation de la chaleur produite : à date, seule la Commune de Corte dispose d’un réseau de chaleur urbain alimenté par une chaudière biomasse. Ce réseau de chaleur permet d’alimenter des clients institutionnels ou des particuliers (écoles, piscine, bibliothèque de l’université, hébergement du CROUS, hôpital, maison de retraite, HLM, etc.) et est passé de 13 clients en 1992 à plus d’une trentaine aujourd’hui. Comme indiqué précédemment et afin de pérenniser l’installation de valorisation énergétique, il est nécessaire d’identifier des gros consommateurs (institutionnels, particuliers et aussi industriels ou autres) de chaleur et/ou de froid ou de vapeur.

2. Pérenniser la filière mâchefer : Même si leurs caractéristiques respectent les prescriptions de l’arrêté du 18 novembre 2011, les mâchefers ont une densité très élevée qui limite fortement leur transport et oblige à une réutilisation en technique routière dans un rayon géographique très limité

3. Créer une filière dédiée pour les REFIOM : Concernant les déchets issus de l’installation de valorisation, ils doivent recevoir la gestion appropriée en fonction de leur classification. Les DD produits, et notamment les REFIOM doivent recevoir un traitement de stabilisation avant leur élimination en CSDU 1. Afin de limiter le transport de DD vers le continent, il est envisagé, dans ce sens, de créer une alvéole spécifique dans un des ISDND. »

Ce seul paragraphe résume toute l’insécurité technique de ce plan. Rien n’est prêt pour l’accepter et le mettre en œuvre : absence d’étude de référence pour la filière CSR en Corse, absence de réflexion ou d’étude sur le traitement des CSR, absence de solution pour le traitement des Refiom, absence de localisation et de foncier pour les UVE, absence d’acceptabilité par la population, absence de solution de stockage et d’exutoire pour les CSR dans l’attente de la construction des UVE.

2) Une voie unique explorée : Tri Mécano Biologique pour la fabrication de Combustibles Solodes de Récupération et Incinération pour production d’énergie

Le projet de PTPGD entérine une voie prioritaire de traitement des déchets – fabrication de CSR et incinération – sans référence à d’autres voies possibles.

La délibération de l’Assemblée de Corse AC10/2010 en date du 25 novembre 2010 actant le renoncement à tout traitement thermique pour le traitement de déchets (réaffirmée lors du PPGDND du juillet 2015), toujours en vigueur, n’est pas mentionnée dans le Plan. Pour mémoire, la délibération « ACTE le renoncement définitif au procédé de traitement thermique sous toutes ses formes : incinération, thermolyse ou gazéification autre que les voies de transformation de la matière organique en biogaz. »

Cette délibération n’est pas rappelée dans le projet de délibération ni dans le rapport, ni dans le plan. Elle devrait être intégrée dans les 3 documents car elle engage toujours la majorité territoriale actuelle, aurait dû la conduire à étudier en priorité les scénarios conformes à la délibération.

Le Plan ne fait pas d’inventaire des techniques existantes. Celui-ci montrerait, comme c’est le cas dans nombreuses régions d’Europe (Sardaigne, Slovénie, Italie, Espagne…) qu’une autre voie technique est possible. Le Plan d’action voté par l’Assemble de Corse pour compléter le PPGDND le 16 mai 2016 donnait les solutions techniques d’une voie tri/compostage/déconcentration des installations. Cette voie n’est pas abordée par le Plan.

Le Plan entérine la création de deux usines de tri mécano biologique, d’une capacité de 100 000 tonnes chacune, pour la préparation des CSR et la stabilisation (ou le séchage ?) des matières organiques contenues dans les ordures ménagères.

Ces usines qui seraient situées  sur les territoires de la CAB et de la CAPA (marché attribué pour l’usine de Monte, mais en phase de préparation administrative et techique – marché non attribué pour Ajaccio avec des acquisitions foncières en cours à Sarrola)  qui traitent des ordures ménagères résiduelles (poubelles grises) en même temps que différents autres déchets, pour préparer l’ incinération des CSR, contreviennent à la loi AGEC, notamment en ce qui concerne l’obligation du tri à la source des biodéchets d’ici 2024 et aux points réglementaires rappelés dans le précédent avis du CESECC 2018-67 relatif à la déclinaison du plan déchet.

  • La Cour des comptes les a qualifiées de gouffres financiers et d’échec technique. Désormais interdites en Europe, elles ne peuvent continuer d’exister que parce qu’elles conduisent à des unités de valorisation énergétique. Cette valorisation par incinération des CSR est polluante ; en cela elle contrevient à la directive UE 2018/851 du 30 Mai 2018 qui exige que des mesures pour la protection de l’environnement et de la santé humaine soient incluses dans les plans de gestion des déchets.
  • L’accueil dans ces usines de déchets mélangés ne permet pas un recyclage de qualité dans le cadre du développement d’une économie circulaire. Plus aucun recyclage ne sera possible dès le moment où les matériaux « traités » seront incinérés pour produire de l’électricité ou de la chaleur ou enfouis.
  • Il faudra alimenter ces deux usines pour les rentabiliser, ce qui occasionnera une réduction conséquente du tri à la source, en particulier des biodéchets, et, donc, de leur valorisation organique qui est pourtant écrite comme prioritaire par le projet de plan.

La voie unique et sans retour possible actée dans le Plan pose le problème de l’absence de prévisions évoquée au paragraphe ci-après. En effet, le Plan ne repose que sur un faisceau d’insécurités juridiques et techniques :

  • Insécurité juridique de la faisabilité des Centres de préparation de CSR de Monte et Sarrola : absence de Plan B en cas d’annulation de ces projets
  • Pas d’organisation technique décrite pour la période d’attente des incinérateurs
  • Absence de doute sur l’utilisation des mâchefers en technique routière qui est pourtant très hypothétique.

3) Une grave absence de prévision

Le Plan ne présente pas de calendrier de réalisation des installations, ni de cartographie de répartition des futures installations. Cela est flagrant pour les installations majeures en aval de la préparation des CSR :

  • Incinérateurs/chaudières : le Plan en méconnait le nombre, le positionnement géographique, les contraintes d’installation.
  • Centres de traitement des mâchefers (IME : Installation de Maturation et d’Élaboration) : leur création pourtant majeure et obligatoire dans le cadre d’une filière CSR/Incinération n’est pas abordée dans le Plan. Elle concernerait pourtant environ 34 000 tonnes de mâchefers à traiter par an. En l’absence de toute étude, les coûts de traitement des mâchefers ne sont pas évalués.
  • Absence de prévision en cas de non possibilité technique d’utilisation des mâchefers en sous couche-routière :  nos analyses montent que cette utilisation ne pourrait être que très ponctuelle géographiquement et dans le temps en Corse. Nous rappelons que le stockage des mâchefers en IME n’est autorisé que 3 ans. La durée de vie des incinérateurs est d’au moins 40 ans. Le Plan ne prévoit aucun enfouissement des mâchefers pendant cette durée, ce qui pourtant est inéluctable. Sur 40 ans, en corollaire de la création des incinérateurs, il est indispensable de prévoir des capacités augmentées en centre d’enfouissement, soit environ 34 000 tonnes supplémentaires par an.
  • Stockage des REFIOM : « Afin de limiter le transport de DD vers le continent, il est envisagé, dans ce sens, de créer une alvéole spécifique dans un des ISDND ». La complexité de création d’un centre de stockage de déchets dangereux (ISDD) permet à tous les initiés de comprendre que les REFIOM seraient expédiés sur le continent. Aucune étude de coût n’est produite et il est permis de douter de la possibilité d’un transport des REFIOM par cargos mixtes compte tenu de leur dangerosité.
  •  Absence de prévision des conditions techniques et de coûts de transport des CSR pendant la phase provisoire de construction des incinérateurs évaluée à minimum 5 ans dans le Plan :

« Ce phasage, et l’export provisoire des CSR produits sur le continent, nécessite cependant de mettre en place des unités plus techniques (et donc plus onéreux) permettant d’envisager la valorisation énergétique via la filière cimentière par exemple. » dit simplement le Plan.

En pratique, les délais sur ce type de dossier vont de 7 à 10 ans, d’autant plus que l’opposition à ce type de projet sera très forte en Corse et qu’il n’y pas de foncier identifié pour l’instant. Corsica Pulita, en tenant compte de la très faible densité des CSR a montré (voir le site internet) que ce transport représenterait 10 000 à 12 000 semi-remorques par an, soit près de 40 par jour de frêt.

Le volume de CSR produit par an n’est pas évalué, et pourtant 154 000 tonnes de CSR représenteraient un volume de 700 000 à 1 000 000 de m3 par an, soit un terrain de football par 200 mètres de haut !

  • Absence d’information du public et silence sur les risques sanitaires : Le passage en force de flilière CSR/Incinération ne s’embarasse pas d’études et de précautions. Les risques sanitaires sont gommés du Plan… au point que les déchets issus de l’incinération – REFIOM et mâchefers – disparaissent des schémas. Comme le montre le récent article du Monde (13/11/2023) sur l’incinérateur d’Ivry, pourtant rénové et mis aux normes – l’incinération présente des réels dangers pour la santé humaine et animale et pour les milieux naturels. Les dioxines déposées rejetées par les fumées d’incinération sont stables dans le temps et s’accumulent sans jamais disparaître. Les questions de transport des Refiom par camion et par bateau, non évoquées, auraient pourtant dû être traitées du point de vue accidentologie et de la sécurité des marins et des passagers.
  • Absence d’information sur les coûts : Contribuables et élus en charge d’organiser la gestion des déchets n’ont pas l’information nécessaire sur les coûts prévisionnels de traitement. Des estimations sont données sans intégrer les coûts de transport, avec des fourchettes de prix variant du simple au double. On aurait pu tirer partie du fait que l’attribution du marché de Monte est antérieure à l’enquête publique pour connaitre les prix et formule de révision des prix de la filière CSR mais ceux-ci ne sont pas donnés dans le Plan. Le Président du Syvadec se retranche d’ailleurs derrière le secret et la protection des données commerciales pour ne pas communiquer ces prix.

4) L’absence de prévision de la gouvernance : la voie libre pour la privatisation et l’intensification du système mafieux

La Coordinaation Corsica Pulita a analysé le PTPGD afin de vérifier si ce plan était fondé sur des orientations stratégiques qui permettraient, notamment, de faire face à l’emprise mafieuse sur l’économie des déchets, emprise mafieuse facilitée par les situations de monopoles, les ententes entre entreprises intervenant dans ce secteur. Nous avons rappelé sur notre site internet les nombreuses exactions commises contre des biens et des acteurs du secteur des déchets. 

Le Président de l’Exécutif lui-même rejoignait nos analyses dans le documentaire « le cri des goélands ». Gilles Simeoni déclarait :

« Nous sommes prisonniers d’acteurs privés dans le transport et notamment dans le traitement des déchets. Le fait de laisser les clefs du système entre les mains d’opérateurs privés qui sont souvent en situation de monopole, de duopole ou d’oligopole fait qu’objectivement, il y a des ententes sur le prix, avec des prix qui sont à la hausse. Nous disons qu’il faut impérativement, surtout dans ce secteur des déchets qui génère des profits considérables et quelques fois pour des acteurs qui sont des acteurs douteux, nous disons qu’il faut une très forte présence de la puissance publique. Notre priorité absolue, comme le prévoit d’ailleurs la loi française et européenne, c’est la généralisation du tri à la source et en face de ça, on a une autre vision qui ne dit pas toujours clairement son nom, mais qui, en fait, est particulièrement limpide. On se détourne, même si on ne l’assume pas, du tri et on fait des usines de traitement très importantes, bien au-delà de ce que devrait être la matière à traiter si on atteignait les objectifs de tri fixés par le législateur, avec une logique de profit, une logique industrielle de profit pour des intérêts privés. »

Compte tenu de ce contexte criminel, mafieux, de ces situations de monopole qui détruisent toute possibilité d’une vraie concurrence dans le cadre d’une économie libre, le PTPGD aurait dû prescrire une véritable « gestion publique des structures de traitement des déchets » comme le Président de l’Exécutif s’y était engagé dans son rapport voté le 26/02/2021.

Il n’en est rien.

4.1 Le principe d’une gestion publique et sa déclinaison dans le PTPGD :

En ce qui concerne son cadrage juridique, le Président de l’Exécutif de la Collectivité de Corse a insisté, à plusieurs reprises, sur la nécessité d’une gestion publique des structures de traitement des déchets, notamment dans ses rapports de Février 2021 et Mars 2022 « PTPGD. Présentation pour information de l’Assemblée de Corse » :

« le principe de gestion publique des déchets: celui-ci et sa mise en œuvre opérationnelle (…) est, a fortiori, dans un système insulaire et dans le cadre d’une économie souvent captive, le plus sûr rempart contre les dérives de toutes sortes : inflation des coûts, prééminence des intérêts privés au détriment de l’intérêt général, non -respect des critères environnementaux et sociaux (…). Quand bien même des partenariats publics/privés pourraient-ils, si nécessaire, être mis en place pour optimiser la mise en œuvre des compétences, les projets privés devront respecter les préconisations du plan notamment en termes de nature et dimensionnements des ouvrages concernés » (Pages 3-4).

« La CDC réaffirme sa volonté (…) d’éviter toute situation monopolistique ou oligopolistique d’acteurs privés, dans un secteur stratégique et particulièrement sensible » pour ne pas dire sous emprise mafieuse. (Page 10). Ce qui prenait en compte l’avis de l’Autorité de la concurrence et les rapports de la CRC de Corse. Mais l’analyse du plan infirme ces positions de principe. Il n’est jamais question d’une véritable gestion publique, via une régie publique pour les structures de traitement des déchets. Le Plan ne préconise pas non plus les mesures légales qui permettraient de s’opposer à toute situation de monopole dans le transport ou le traitement des déchets.

Le plan ne choisit pas, ne prescrit rien en la matière. Il ne rappelle jamais que les projets privés devront respecter les préconisations du plan en termes de nature et dimensionnements des ouvrages concernés, en particulier les centres de tri du Grand Bastia et de la CAPA !

En ce qui concerne les investissements les plus importants et les plus coûteux, ces deux Centres de Tri et Valorisation, le plan se contente d’indiquer : « Une filière locale de valorisation énergétique intégrant 1 ou 2 chaufferies est à privilégier. Le projet peut être porté par une maîtrise d’ouvrage publique ou privée » (Page141). En réalité, non seulement le plan ne prescrit rien, mais il occulte le fait que le Syvadec a déjà attribué, à un groupe privé, le monopole de l’exploitation du plus grand CTV de Corse, avec le choix de la filière CSR, celui de Monte, avant même que le PTPGD ne soit soumis à l’enquête publique et voté !

Le plan ne saurait, a posteriori, lorsqu’il sera voté, combler ce vide juridique.

En tout état de cause, à quoi sert un PTPGD si les deux principaux investissements, qui absorbent la plus grande partie des financements publics, sont décidés en dehors du plan, sans cadre légal puisque le plan en cours, approuvé en 2015, ne valide pas, notamment, la filière CSR et que les études de faisabilité de cette filière ne sont pas encore finalisées ?

 4.2 L’absence de cadrage juridique et de gouvernance sur le Plan et la maîtrise d’ouvrage des installations de traitement des déchets :

Mis devant le fait accompli par le Syvadec, seul véritable planificateur, en acte, de la politique de transport et traitement des déchets, le plan propose, comme orientation, l’hypothèse que la CDC serait « fondée à adhérer au Syvadec si ce dernier le permettait dans ses statuts en évoluant vers un syndicat mixte » (page 615). Le plan expose ensuite le champ des possibles, des hypothèses de solutions juridiques : DSP, SEM, SPL, l’éventualité d’étudier la possibilité d’un « Syndicat mixte pour l’exercice de la compétence de traitement sur l’ensemble du périmètre des membres envisagés ».

Comment les décideurs locaux, communes, EPCI, Syvadec, pourraient-ils comprendre les impacts éventuels de ces hypothèses à peine ébauchées qui concluent ce plan ? Leurs caractéristiques principales sont le flou, l’approximation, l’incapacité à prescrire, validant, sans le dire, les décisions du Syvadec et la privatisation totale de l’économie des déchets au profit de groupes privés en situation de monopole comme c’est le cas pour le CTV du Grand Bastia dont l’exploitation est attribuée à un groupe privé d’entreprises.

Compte tenu de l’emprise mafieuse à l’œuvre dans cette économie, le PTPGD aurait dû, aussi, définir avec précision la gouvernance du Plan. Sauf à faire un plan « hors sol », coupé de la réalité de la situation en Corse. Il n’en est rien. Dans son avis du 22/05/2023 sur l’avant-dernier projet de plan, la MRAE recommandait « de renforcer la gouvernance du PTPGD et de préciser sa déclinaison opérationnelle pour garantir l’atteinte des objectifs stratégiques fixés par le plan :

En expliquant comment sont fixés et gérés les degrés de priorité et de complexité dans la mise en œuvre du plan. En indiquant comment est assurée la coordination par la collectivité de Corse des actions portées par plusieurs pilotes ou, plus généralement, par les communes et les EPCI. En précisant les modalités d’animation, de suivi et de coordination de la mise en œuvre du plan. »

« Sans plus de précisions sur le pilotage et la coordination de ce plan d’actions, on peut identifier le risque de ne pas atteindre les objectifs dès 2027 a minima pour le scénario » nécessaire » en reproduisant ce qui n’a pas ou peu fonctionné jusqu’à aujourd’hui » (pages 3, 22,23).

Le plan actuel ne tient aucun compte de ces recommandations. La gouvernance se résume à la demande d’une « réunion d’une commission consultative a minima une fois par an pour suivre l’avancée des actions, des réunions des groupes de travail pour mener à bien les actions, dans un calendrier qui sera défini en fonction des priorités » : difficile d’être plus approximatif ! (pages 280, 281).

Le plan ajoute qu’un suivi, sera assuré par l’Observatoire du territoire. Il n’est jamais précisé comment cet observatoire, notamment, assurera la coordination par la CDC des actions portées par plusieurs pilotes, les communes et les EPCI.

Une telle imprécision, une telle absence de moyens de contrôles réels, dans une économie soumise à une telle pression criminelle, est inacceptable.

5) Conclusion

Ce Plan, sur la forme et le fonds, montre les qualités d’un bricolage pour monter un scénario qui coordonne des paramètres incompatibles entre eux :

  • des centres de tri conçus pour la production de CSR à partir d’ordures grises et de matériaux recyclables issus des activités économiques et du BTP, démarrés avant l’enquête publique, et qui par définition ont de très mauvaises performances de valorisation matière …
  • des obligations réglementaires précises sur le taux de valorisation matière et la collecte des biodéchets.

Les 800 pages que comportent le Plan et ses annexes sont absolument illisibles par le grand public mais la Coordination Corsica Pulita a fait l’effort d’une analyse minutieuse et d’une explication pédagogique pour les Corses et leurs élus. Nous mettons en lumière les lacunes, omissions, imprévisions et erreurs qui caractérisent le Plan.

Le résultat est très préoccupant puisque le Plan viole les principes fondamentaux de la Loi :

  • Non-respect des seuils minimum de valorisation matière
  • Non-respect du seuil de mise en ISDND des déchets ménagers et assimilés
  • Non-respect du principe de proximité
  • Non-respect du principe d’autosuffisance
  • Non-respect de la hiérarchie des modes de traitement
  • Absence d’études fiables de la filière choisie et des coûts.

Le renoncement au tri à la source généralisé et le choix de la filière CSR/Incinération suscitent un mouvement de contestation et d’indignation qui s’amplifie de jour en jour.

La confiance est rompue et nous pouvons être très circonspects et suspicieux sur la production d’études a posteriori qui viendraient conforter les choix affichés dans le Plan.

Ce Plan est nécessairement voué à l’échec, tant du point de vue juridique que technique.

Corsica Pulita alerte l’Exécutif et l’Assemblée de Corse sur la responsabilité que ceux-ci prendraient à voter le PTPGD présentant un tel niveau d’incertitudes.

Nous vous demandons donc, Madame la Présidente de la Commission d’enquête, Mesdames et Monsieur les Membres titulaires et suppléants, de prendre en considération l’ensemble de nos remarques et analyses et d’émettre un avis négatif sur ce projet de PTPGD.

Nous demandons collectivement à Monsieur le Président de l’Exécutif et Monsieur le Président de l’Office de l’Environnement le retrait du Plan.

La Coordination Corsica Pulita

Vous pouvez, jusqu’au vendredi 24 novembre inclus, 17 heures, apporter votre contribution à l’enquête publique :

https://www.registre-dematerialise.fr/4869/.