Sur Place publique, le débat s’enflamme autour de l’annulation des PLU

18 heures. Aiacciu. Salle des congrès. 200 personnes s’affairent, au premier rang les costumes cravates ; autour, c’est plus bigarré. Étrange ambiance où les gens s’embrassent bon enfant et d’autres se soupèsent en souriant tout en tenant leur garde.
Pile poil, c’est à l’heure où l’enregistrement commence. Jérôme Susini, journaliste à Frequenza Mora ouvre le bal. À la tribune cinq invités ont quelques minutes pour s’expliquer : Que dire des PLU annulés ?
Préséance oblige, M. Alimi, directeur la DEE est le premier à parler : « il y a huit annulations de documents d’urbanisme. L’État est en train d’essayer de comprendre ce qui se passe ». Il réfléchi donc ?

Pour le porte parole de l’État c’est juste que  “la loi est simple mais que son application est très compliquée. Il faudrait qu’on précise les concepts”. Il n’ira pas beaucoup plus loin. Chacun comprend qu’il a consigne de ne pas nourrir le débat. En revanche, la dernière formule inquiète. D’autant que le même souhait de préciser les concepts, sera repris par Maria Giudicelli, élue à l’exécutif et en charge de l’élaboration du Padduc. Celle-ci affirmera fermement qu’il est hors de question pour la collectivité de modifier la loi. D’entrée, elle coupe l’herbe sous le pied de M. Tafani, élu à Bunifaziu qui scande : “je suis contre la loi Littoral”.

Cependant, la conseillère territoriale explique aussi que la loi doit être au service d’un modèle de développement. “Aujourd’hui l’usage du sol est souvent soumis à des conflits d’intérêts. J’ai bien l’intention de mettre en place des mécanismes régulateurs”.  Consensuelle, elle lance : “personne ne veut défigurer les rivages de la Corse”, avant d’ajouter : “les concepts de la loi peuvent donner lieu à interprétation.”

Un brin de connaissance des rapports d’influence au sein de l’Assemblée territoriale laisse craindre le pire : on vient d’ouvrir la boite de pandore. Dans les futurs débats, chacun ira de son poids pour convaincre du bien fondé de “son” urbanisation : 360 communes c’est autant d’intérêts qui morcellent la Corse

L’argument juridique est réfuté par Benoit Busson, avocat des associations de défense de l’environnement. « Non la loi Littoral n’est pas compliquée. On savait d’avance que certains Plu violaient la loi , il n’était pas difficile de faire annuler ces PLU ajoute maitre Tomasi, lui aussi représentant des associations. “Les illégalités étaient nombreuses, flagrantes… il y a pourtant nombre de jurisprudences. Les associations ont prévenu mais élus n’ont pas voulu entendre.”

À ce point du débat, la salle reste sage, on ne sait encore comment elle va basculer.  Mais le ton change avec Jocelyne Fazi, ici venue pour représenter l’association des maires de Corse. D’un ton presque guailleur, elle attaque : “la loi Littoral c’est protection, développement, préservation”, l’appel du pied est à peine voilé : le développement c’est elle. “Il faudrait que les associations prennent l’habitude de travailler avec nous les maires. Du reste, les élus c’est nous. Les associations n’ont qu’à se présenter aux élections si elles veulent”. Même ton, dans la bouche de Georges Mela, maire de Portivechju, qui avec une once de mépris ose dire : “ce n’est pas à la rue de choisir”. Le Maire de Sartè renchérit  “Nous sommes les élus du peuple. Nous avons été choisi sur un projet politique. Les associations Kmer vert peuvent aussi se présenter aux élections si elles veulent”. Et d’ajouter pour justifier son projet économique de court terme : “Que voulez vous, les touristes sont attirés par le littoral”.

La salle prend parti. le remous se fait palpable. Un grondement monte… Le débat porte sur le respect des terres agricoles. Jean Dominique Musso, de la chambre d’agriculture de Corse du sud, témoigne qu’on demande leur avis aux agriculteurs mais  “juste pour la forme”.

Heureusement, au milieu de ce brouhaha méprisant pour la démocratie locale, quelques paroles construites s’élèvent de la salle. Vincent Ciccada, élu au conseil économique et social ose rappeler que la loi Littoral est une “bonne” loi pour la Corse. Avec bon sens, Gérard Boncristiani, président de l’association pour le libre accès aux plages demande aux élus qui se réclament républicains de montrer l’exemple en respectant le droit. Le Maire de Petrosella, M. Luccioni, défend, preuve à l’appui, qu’en usant de concertation on réussit à trouver un terrain d’entente qui respecte le droit.

Et puis le débat bascule, d’aucuns osent exprimer les pressions des lobbys et même, à mi-mots, maffieuses qui pèsent sur les élus locaux. Jean Dominique Musso évoque les pressions subit par les maires. Julia Sanguinetti élue à Cauru relève qu’aujourd’hui le seul moyen de gagner de l’argent c’est de faire de la spécultation. Et, témoignant de son expérience :” les élus démissionnent de leur responsabilité. Ils préfèrent laisser le tribunal administratif décider”. Quant à Paul Jo Caitucoli, conseiller général, il met allègrement les pieds dans le plat  : “Il faut que les groupes de pression sachent que dans ce pays, ils ne feront pas la loi. Ils doivent savoir que les associations sont respectées. Car plus on ira vers l’établissement du Padduc, plus les groupes de pression vont agir”.
Ainsi le débat sort de sa phase café du commerce pour entrer dans les enjeux véritables, ceux posés par le type de projet de société que l’on souhaite défendre. Toute chose qui, comme le conclut maître Martin Tomasi, met en lumière la très lourde responsabilité portée par Maria Guidicelli pour finaliser le Padduc. Afin d’établir une politique de développement du territoire. Il est impératif que la Corse se dote d’un document stratégique et qu’on ne laisse plus les maires seuls. C’est l’avenir de notre terre qui se joue. “Mme Giudicelli, votre responsabilité est considérable. Sachez que les associations de protection de l’environnement y apporteront leur contribution”.