Tri à la source : votre collectivité est-elle sur le podium ?

Papier publié par Zeru Frazu

Il revient à chaque collectivité d’identifier les solutions pour trier les déchets à la source. Elles doivent s’assurer qu’ils pourront être recyclés et non mis en décharge, telle est la loi. Dans la pratique, les écarts se font sentir entre les différentes communautés de communes de Corse. Il y a celles qui trient, très peu, un peu, un peu plus, un peu mieux… L’analyse des chiffres 2019 produits par le Syvadec est édifiante.

Forcément, on se gausse… 21 000 tonnes de déchets stockés depuis novembre 2018 sur des plateformes plus ou moins improvisées sont exportées pour être incinérés. Mais qui se préoccupe du contenu de ces balles vertes enserrées de plastique ? Car là est la question !
En théorie, elles ne devraient contenir que des ordures ménagères résiduelles non recyclables et non toxiques ; donc sans les bio déchets (épluchures de légumes ou autres restes alimentaires naturels biodégradables), sans les verres, papiers, cartons, emballages, textiles, matières dangereuses telles les piles,  petits déchets électriques ou électroniques, matières chimiques, tout ce que nous mettons – par facilité – au fond d’un sac noir déposé dans le bac des résiduels. Ni vu, ni connu …

Pour lever le voile, nous avons scruté les derniers chiffres publiés par le Syndicat de valorisation des déchets en Corse (Syvadec). Ils détaillent, intercommunalité par intercommunalité, le poids des déchets et leur répartition entre ceux potentiellement recyclables, du fait de l’effort de tri, et les autres… notamment ceux que l’on retrouve dans les fameuses balles vertes. Le résultat nous oblige à « mettre la plume dans la plaie » : il y a beaucoup de mauvais élèves !

Des Comcom plus ou moins impliquées dans le tri des ordures ménagères

Trier voilà le maître mot. Mais nous sommes loin du compte. Les dix-neuf intercommunalités corses (qui ont compétence pour trier à la source) ont déployé des efforts très « différenciés » dans la gestion de leurs déchets. Ainsi, en 2019, la communauté de communes de Calvi Balagne parvient à trier 34 % des ordures ménagères collectées sur son territoire, tandis que celle de la Pieve de l’Ornano et du Taravu fait figure de dernier de la classe avec 10 % de déchets collectés en points d’apport volontaire (PAV).

Globalement l’île trie 16 % de ses déchets collectés. C’est peu. D’autant que les chiffres ne traduisent pas la qualité du tri. En effet, une erreur de tri peut conduire à un refus de l’ensemble d’un bac. Son contenu part alors à l’enfouissement ou à l’incinération. Trié ne veut pas dire recyclé.

Un « grand écart » des scores entre les différentes communautés de communes s’explique par le protocole de collecte adopté par les différents responsables concernés. Il faut tirer leçon des résultats de la communauté de communes de Calvi Balagne laquelle monte sur la première marche du podium. Celle-ci expérimente avec succès la collecte au porte-à-porte (et non en apport volontaire) dans sept villages de son territoire, soit 23 % de la population. À noter également la plus grande finesse de son tri à la source puisque les habitants sont sollicités pour dissocier leurs déchets en cinq flux (papier, verre, emballages, cartons, biodéchets). À titre de comparaison la Pieve d’Ornanu a opté pour la collecte sélective en trois flux. Calvi Balagne a également impulsé une expérience de tarification incitative pour les particuliers et une redevance spéciale pour les professionnels (restaurants, cantines, centres de vacances,etc.). Toutes choses dont il conviendrait utilement de s’inspirer. A chaque  territoire de trouver la meilleure organisation, qui diffère forcément en milieu urbain dense ou en milieu rural profond et selon l’impact de la fréquentation touristique.

Globalement l’île trie 16 % de ses déchets collectés. C’est peu. D’aucuns prétendent qu’il serait impossible d’enjoindre les Corses de trier leurs déchets. Nous serions inaptes aux contraintes ! Là serait la raison de la non-application du plan voté par la Collectivité de Corse. On pourrait rétorquer qu’il était inimaginable, il y a deux mois encore, d’imposer le confinement à tout un chacun. Pourtant, la consigne  #StòInCasa  a été respectée, ici comme ailleurs. Preuve, s’il en est, qu’à l’origine des changements de comportements figurent la volonté politique et l’organisation.

Dans cette situation de crise où il convient de fixer des priorités, la première revient au tri des biodéchets. Parmi les six collectivités qui dépassent 20 % de tri, la plupart ont démarré une politique de séparation des biodéchets à la source.  Leur valorisation via le compostage permet le retour au sol des matières organiques transformées en matière valorisable, adaptée aux besoins agronomiques des sols. Il s’agit là, également, d’une filière économique, non soumise aux fluctuations du marché.

La palme revient à la communauté de communes de Calvi Balagne avec près de 8 % de ses collectes consacrés aux biodéchets. Certaines communautés de communes affichent un taux de collecte des biodéchets de 0 %. C’est peu… Ces chiffres sont à rapprocher de la quantité de biodéchets produite par ménage, qui représente en moyenne un tiers de leur poubelle. Selon les chiffres Ademe 2015, cela représente 87 kg/habitant/an, soit en Corse un potentiel de 28 275 tonnes minimum (total collecté en Corse 2019 : 2 601 tonnes). Il reste encore une sacrée marge de manœuvre pour trouver des solutions à la crise !

Non les Corses ne sont pas inaptes aux contraintes. Quand le tri n’est pas performant, c’est qu’il manque une volonté politique forte à l’échelon local.

Une bombe à retardement

La lecture des chiffres, nous révèle que les fameuses balles vertes exilées en Provence Alpes Côte d’Azur (Paca) pour y être incinérées contiennent un poids important de fermentescibles en putréfaction, qui vont produire des gaz à effets de serre. En l’absence de tri, les biodéchets représentent en moyenne le tiers du poids de nos poubelles ménagères, sans oublier celles des professionnels (restaurants, cantines, hôpitaux, commerces, marchés…). Leur mise en décharge génère d’ailleurs les mêmes gaz malodorants. Le tassement provoque la fermentation des déchets alimentaires dans un milieu sans oxygène, créant ainsi les conditions favorables à l’émission de méthane dans l’atmosphère. Un gaz qui possède un pouvoir de réchauffement global 28 fois supérieur à celui du CO2.

À l’heure du réchauffement climatique et de la fonte du permafrost, l’absence de tri des biodéchets fait ainsi figure de bombe à retardement.

À grande échelle, les bons résultats de recyclage s’obtiennent grâce à la valorisation des biodéchets collectés.

Et puis, pour ajouter à l’absurde, relevons que les biodéchets sont composés à 80 % d’humidité. Donc, CQFD, en incinérant nos déchets non triés (ceux-là mêmes qui se sont expatriés en région Paca), on brûle de l’eau ! N’est-ce pas une aberration ? Est-ce vraiment rentable ?

84 % des déchets ménagers collectés ne sont pas triés

Le code de l’Environnement rend le tri obligatoire, tout comme la directive Déchets de l’Union européenne (1). La Corse, elle, s’est dotée en 2016, d’un Plan d’action qui prévoit, via le tri, la réduction de 60 % de tous les déchets ménagers et assimilés (collectés et apportés en déchetterie) en cinq ans. L’objectif est frileux, d’autres collectivités en France ou en Europe ont obtenu de bien meilleurs résultats en bien moins de temps. Au-delà des tergiversations politiciennes qui cherchent à rebondir sur la crise des déchets, il faut reconnaître le bien-fondé de ce plan et la volonté politique de ceux qui l’ont voté. C’est là un premier pas : u tuttu hè d’avvià u mulinu. Autrement dit : l’important est d’amorcer la pompe.

Hélas, on piétine. En 2019 en Corse, 84% des déchets collectés par les intercommunalités ne sont pas triés. L’organisation basée essentiellement sur les points d’apport volontaire (PAV) reste médiocre.

Les principales collectivités productrices de déchets sont les agglomérations d’Ajaccio et Bastia

Dans ce tableau peu réjouissant, la responsabilité de la Communauté d’agglomération du Pays ajaccien (Capa) est considérable. Les mêmes chiffres du Syvadec révèlent que la Capa ne «trie » que 12 % de ses ordures ménagères collectées. Dit autrement : près de 88 % des ordures ménagères issues de la collecte à la Capa sont envoyées directement à l’enfouissement. La Cab fait un peu mieux avec un taux de près de 18 % de collecte sélective, figurant parmi les neuf intercommunalités au-dessus de la moyenne en Corse.

Les deux plus gros producteurs de Corse ensemble, Capa avec 52 164 tonnes et Cab avec 36 896 tonnes, ont produit en 2019 près de 36 % des déchets ménagers et assimilés de l’île.

En déchèterie, la performance de tri est meilleure

Avec une moyenne de 82 %, le tri en déchèteries (nommées à tort « recycleries » par le Syvadec) semble performant. Mais, ce chiffre fait état, lui aussi, de grandes disparités entre les communautés de communes. (Il faut noter q’une inégalité existe au niveau des équipements). La communauté de la Costa Verde parvient à trier 92 % des déchets apportés en déchèterie. Loin du podium, et toute dernière, la communauté de communes de Celavu Prunelli ne trie que 23 % des apports en déchèterie.
L’analyse de ces chiffres doit tenir compte du fait que le poids des déchets occasionnels (encombrants, gravats lourds, etc.) apportés en déchèterie tire les taux globaux du tri vers le haut. Concernant les gravats, il s’agit surtout de déchets d’entreprise traités -en partie selon les territoires- par le Syvadec. Une filière professionnelle dédiée doit s’imposer d’urgence.

Ce résultat global n’incite pas aux acclamations, en effet, les apports en déchèterie ne représentent que 30 % de tous les déchets ménagers et assimilés (DMA) lesquels atteignent 250 000 tonnes, dont 153 000 sont enfouies.
Il convient donc de se préoccuper des 70 % restants en portant fortement les efforts sur la collecte auprès des ménages : va cù i so pedi. Oui, cela va de soi !

Les biodéchets : la priorité
Dans le contexte actuel d’appauvrissement des sols en matières organiques, il existe un réel besoin d’amendements naturels que les composts de biodéchets peuvent en partie combler.  La substitution des apports en engrais de synthèse par des engrais organiques est également appréciable d’un point de vue environnemental. En effet, la fabrication de ces engrais de synthèse repose notamment sur des ressources minières non renouvelables et non disponibles en France (phosphore et potasse), et pèse considérablement sur le bilan énergétique global, la synthèse des engrais azotés, notamment, étant très énergivore.

https://www.zeru-frazu.fr/2020/05/11/tri-a-la-source-votre-collectivite-est-elle-sur-le-podium/

EN SAVOIR PLUS

(1) Le code de l’Environnement, article L 541-1, modifié par la loi du 17 août 2015, prescrit en premier lieu la réduction des quantités de déchets produites et des mesures comme le tri à la source des déchets organiques, jusqu’à sa généralisation pour les producteurs de déchets avant 2025.

La directive Déchets publiée au Journal Officiel de l’Union européenne le 14 juin 2018  a établi des mesures réglementaires sur le paquet économie circulaire :  prévention, réduction, réemploi, augmentation du recyclage, tri à la source des déchets organiques obligatoire d’ici décembre 2023 pour tous les producteurs, y compris les ménages.

En France le décret du 27 mai 2019 a mis fin au complément de rémunération soutenant l’incinération des déchets en mélange et a modifié le Code de l’énergie (suppression du 2° de l’article D314-23)