“U Ghjattu volpe”, le chat sauvage corse, une très longue histoire

Peinture de Dominique Knoeflin

Dans les années 80, des enseignants des Sciences de la Vie et de la Terre des collèges et lycées de l’Académie de Corse lancent une grande enquête sur le chat sauvage. Ils étudient les crânes des chats récoltés et ceux conservés dans leurs laboratoires. Ils consultent les archives et recueillent de nombreuses informations de terrain sur le chat sauvage corse, u ghjattu volpe ou ghjattu mammone dans certaines régions. Ils essaient d’établir son phénotype et sa biologie. En 1984, ils dressent une carte de leurs localisations actuelles et passées (Atlas régional des mammifères de Corse, D.R.A.E., 1984, 45 p.). De nombreuses mesures et analyses sont comparées à celles publiées par différents auteurs (L. Lavauden 1929, B.Ragni 1981, M.-C. Saint Girons 1973, P. Schauenberg, 1969, 1971).

Carte extraite de l’Atlas régional des mammifères de Corse

En 1986, l’étude de deux spécimens, récupérés l’un dans l’Alta Rocca (Quenza), l’autre dans les Deux-Sorru (Letia), confirme bien que le chat sauvage corse existe. Il est plus petit que le chat sauvage continental, Felis silvestris Schreber, il s’apparente beaucoup au chat nord-africain, Felis silvestris lybica[1] et au chat sauvage sarde Felis silvestris var. sarda1. Son nom de « Chat renard » serait dû à la coloration de son manteau. Le dos est de couleur générale gris fauve ou brun roux avec une raie médio-dorsale plus foncée nette, le ventre est fauve ou beige-roux, les pattes possèdent des raies noires, la queue est épaisse, annelée, terminée par un large manchon noir.

Exemplaire supposé être un « Ghjattu volpe » collecté dans les années 80

La conclusion tombe : le chat sauvage corse n’est pas un chat haret[2]. La revue Mammalia[3] publie la découverte faite en Corse.

U Ghjattu volpe est donc une espèce protégée qui s’est très sensiblement raréfiée au cours des dernières années et il est, sans doute, une des espèces de mammifères corses dont l’existence est menacée à court terme. Sa chasse est interdite.

Seules des analyses de génétique pouvaient préciser sa position systématique.

En septembre 2021, une vidéo[4] sur le ghjattu volpe est présentée au Congrès mondial de la nature à Marseille. Elle est le résultat d’un programme de recherche mis en place à partir de 2010 par L’unité de gestion des espaces naturels de la faune sauvage en Corse de l’O.F.B[5]. Ses membres ont pu photographier et surtout filmer certains de ces chats à l’aide de caméras nocturnes. Ils les ont équipés de colliers GPS permettant de suivre leurs déplacements et de délimiter leur aire territoriale. Des mesures biométriques ont pu être effectuées ainsi que des prélèvements de tissus ayant pour but d’extraire et de séquencer l’ADN de ce chat sauvage corse. Toutes les données collectées confirment les résultats obtenus dans les années 80 et permettent de préciser sa carte d’identité génétique et son statut taxonomique.

Dans cette vidéo, Ruette et Devillard précisent la méthode utilisée : « Ces informations sont toutes mises en commun. On a réuni ces cartes d’identité de chats forestiers continentaux, de chats domestiques continentaux, de chats de Sardaigne (Felis lybica), de chats corses domestiques et de chats forestiers corses pour faire un seul ensemble d’individus. Et ensuite, on a cherché les différences entre ces individus. Et donc, par des méthodes d’analyse, on a réussi à montrer que nous avions un ensemble d’individus qui se regroupaient, qui étaient les chats forestiers corses, et que cet ensemble qui s’était regroupé était différent des chats domestiques corses ou continentaux, mais également des chats forestiers métropolitains et un petit peu différent des chats sardes, Felis lybica. »

Leurs conclusions : « On est sur la voie de demander une classification, par exemple sous forme de sous-espèce avec une spécificité géographique. On n’est qu’au début de cette histoire qui peut être une très bonne nouvelle pour la biodiversité et en particulier pour les félins. »

« C’est une population avec une histoire propre, qui est propre à la Corse, et l’humanité a intérêt à protéger cette population de chats sauvages. »

1 – Confirmation par le professeur Van Bree de l’Institut taxonomique de zoologie d’Amsterdam

2 – Haret : chat domestique retourné à l’état sauvage

3 – J. Arrighi et M. Salotti, « Le chat sauvage (Felis silvestris Schreber, 1777) en Corse : confirmation de sa présence et approche taxonomique », Mammalia vol. 52, no 1,‎ 1988, p. 123-125

4 – Vidéo réalisée par la Direction PACA-Corse de l’O.F.B. Corse Net Infos, 15 septembre 2021

5 – O.F.B. : Office français de la biodiversité, Pierre Benedetti chef de l’unité de gestion des espaces naturels et de la faune sauvage terrestre de Corse

6 – Fanny Dens – 2014 – Évaluation du statut spécifique du Chat forestier de Corse, par les méthodes des pièges à poils et photographiques – Université Claude Bernard‐Lyon 1 – Mémoire de fin d’études – 124 pages

 

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