Un parc marin autour du Cap Corse et de l’Agriate ?

Oui ! mais avec des réserves sur le projet actuel. Un parc marin devrait réellement protéger le milieu marin de l’économie liée à la mer en la régulant.

Aires marines protégées et parcs marins

Les parcs marins ont été créés par la loi du 14 Avril 2006. Ils représentent une des quinze catégories d’aires marines protégées françaises.

La France compte en 2015 sept parcs naturels marins : quatre en métropole (Iroise, Golfe du Lion, Estuaire Picard, Mer d’Opale et Arcachon) et deux Outre Mer (Mayotte et Glorieuses). Sont actuellement en projet les parcs marins de Martinique, Estuaire de la Gironde et Pertuis charentais, Golfe normand et breton et Parc corse.

Un parc marin en Corse ? C’est la suite logique d’une décision prise par l’Assemblée territoriale de Corse en mars 2012. Dans sa stratégie (ARS) de création-gestion d’aires marines protégées, il est prévu que 10 % des eaux marines corses soient des aires protégées en 2015 et jusqu’à 15 % en 2020. Cette décision suit une stratégie nationale définie en 2011 : créer dans les eaux sous juridiction française 20 % d’aires marines protégées d’ici 2020 dont six parcs naturels marins.

Les aires marines protégées sont aujourd’hui au nombre de 5 en Corse soit 84 426 ha. Ce sont les réserves de Scandula, de l’étang de Chjurlinu/Biguglia, des Bocche di Bunifaziu, des îles Cerbicale et Finacchiarola. Elles sont limitées à un périmètre côtier et gérées par des organismes différents sous la responsabilité de la CTC depuis 2002 : Finacchiarola par une association, Bonifacio et Cerbicale par l’office de l’environnement, Scandula par le Parc naturel régional, l’étang de Biguglia par le département de Haute-Corse.

Un parc marin, lui, doit être géré par un Comité de gestion local participatif, sous la responsabilité de l’Agence nationale des aires marines protégées. Il s’étend sur un périmètre plus grand au large. Il rassemble et relie d’autres aires protégées autonomes. L’actuel président de l’Agence nationale des aires marines protégées est Paul Giacobbi, Gérard Romiti est l’un des deux vice-présidents.

périmètre projet - copie  Le choix d’un parc marin a été fait pour créer un espace marin et littoral vaste et riche d’une exceptionnelle diversité à préserver autour du Cap Corse et de l’Agriate avec pour but le développement durable d’activités économiques et de loisirs liées à la mer.

Les trois objectifs nationaux d’un parc marin sont : connaissance du patrimoine marin, protection du milieu marin, développement durable du milieu marin. Ces objectifs sont complémentaires et, pour U Levante, ils n’ont d’autre sens que la préservation du milieu marin grâce à son appropriation citoyenne par un public enfin informé de son importance dans la chaîne de la biodiversité qui permet la vie sur terre.

Une création accélérée

Les étapes de la réalisation :

  • 5 juin 2014 : arrêté ministériel de mise en étude,
  • 23 juillet 2014 : arrêté de création d’un comité de pilotage,
  • 23 novembre 2014 : réunion du comité de concertation,
  • 24 novembre 2014 : signature d’une convention entre l’Agence des aires marines protégées, la CTC et l’Office de l’environnement sur les modalités de création,
  • 23 mai 2015 : mise en place de la mission d’étude composée d’agents des aires marines protégées et de l’Office de l’environnement de la Corse,
  • 2 Septembre 2015 au 19 novembre 2015 : mise en place et réunion de 14 groupes de travail réunissant des acteurs de la mer, des associations et des élus experts, afin de recueillir les attentes, les besoins, les usages et décider des choix d’orientations et de la composition d’un comité de gestion,
  • 12 Décembre 2015 : création d’un livret de présentation, validé par les différentes instances partenaires après présentation définitive au comité de concertation,
  • 17 décembre 2015 : réunion du Conseil national de la protection de la nature
  • La date du début de l’enquête publique (prévue le 16 janvier 2016) et celle du début de l’instruction nationale de création du parc ont été différées en raison de l’élection d’un nouvel Exécutif régional en Corse.

Le calendrier prévisionnel de la mission d’étude prévoyait l’enquête publique et la création officielle du parc en début 2017. Nous sommes donc en avance d’un an. Cette accélération, pour des raisons que nous n’avons pu obtenir, est, nous le croyons, d’ordre politique. Cette réalisation à marche forcée nuit évidemment à la création responsable d’un parc si vaste : l’inventaire reste à compléter, la concertation des acteurs a été trop rapide pour être performante, l’information et la sensibilisation des populations concernées comme celle de la totalité des habitants de la Corse est quasi inexistante.

Des pouvoirs limités et des moyens non précisés

Les parcs marins sont sous la tutelle de l’Agence nationale des aires marines protégées qui leur alloue un budget et leur donne les moyens humains et matériels de fonctionner. Un comité local de gestion réunissant tous les acteurs de la mer (pêcheurs, plaisanciers, état, région, élus des communes concernées et associations) établit un plan de gestion qui fixe des objectifs pour 15 ans. Ce comité de gestion n’a aucun pouvoir de décision ; il n’émet que des avis sur la gestion des activités. Son principal intérêt est de mettre en relation tous les acteurs de la mer pour tenter de réguler l’espace marin, afin que chacun le respecte et que soit préservée sa richesse. C’est un parlement de la mer.

Bien évidemment, pour gérer un espace aussi vaste que celui de ce parc marin il faut des moyens humains et matériels conséquents. Sur le livret de présentation du parc n’apparaît aucun budget prévisionnel ni descriptif de moyens matériels et humains nécessaires.

Des orientations plutôt que des objectifs

La méthode employée par la mission d’étude est celle qui est mise en œuvre pour la création de tout parc naturel marin. Elle met en place un cadre qui doit permettre, ensuite, au comité de gestion de mettre en œuvre des actions. A notre sens, ce cadre n’est pas assez précis. Ce sont des orientations qui sont déterminées plutôt que des objectifs.

L’analyse de l’état des lieux, telle qu’elle apparaît dans le livret de présentation, pointe des champs de priorité qui doivent se traduire par la mise en place d’objectifs prioritaires clairs et incontournables qui doivent guider et faciliter le travail du comité de gestion, sans pour autant lui imposer telle ou telle contrainte. Or ce qui est proposé au comité de gestion est une  “bible” de gestion plutôt qu’une grille pertinente déterminant des champs d’action pour une méthode de gestion.

Préserver ou rentabiliser ? La mer n’est pas à vendre

Qu’entend-on par développement durable des activités économiques et de loisirs liées à la mer ? S’agit-il d’encourager un développement économique au service d’une économie touristique destructrice d’environnement car concentrée sur quelques mois et sur des lieux qui ne sont pas prévus pour accueillir autant de monde et de pratiques ? C’est ce qu’on a cru comprendre en début de concertation : le verbe «encourager» figurait sur un axe d’orientation ! Il a été supprimé depuis, pour éviter que le comité de gestion ne mette en avant l’économie de rentabilisation de la mer sous caution écologique plutôt que sa préservation. En effet, la surfréquentation d’un site marin protégé a un réel impact négatif sur la préservation de la biodiversité (comme c’est actuellement le cas àScandula). U Levante craint qu’il n’en soit de même pour le parc marin autour du Cap Corse, zone encore préservée, hormis certains sites.

Un comité de gestion du parc peut, certes, contribuer à harmoniser les pratiques, mais pas à les réguler et encore moins à les interdire. Or l’inventaire de ce qu’on appelle, peut-être à tort, des richesses et qui ne sont que des équilibres fragiles nécessaires à la survie du milieu marin et donc de l’Homme, montre qu’il y a urgence à réguler, réglementer et sanctionner.

Notre inquiétude est confortée, dans la mesure où, dans les orientations, manque celle relative à la gestion des activités économiques et de loisirs liées à l’économie touristique en mer et sur le littoral.

Aucune réserve intégrale n’est prévue alors que les réserves sont absolument nécessaires à la préservation et à la régénération des espèces.

En compensation à la création du port de commerce de Bastia, dit “de la Carbonite”, a été prévue une réserve naturelle qui sera vraisemblablement située au sein de la partie Cap Corse du parc marin. Ce type de “mesure compensatoire” est inacceptable car elle entérine, pour des motifs économiques très contestables, la destruction d’un site écologique remarquable avec des conséquences évidentes sur la biodiversité environnante et l’érosion littorale. Il est scandaleux et fallacieux que de faire croire qu’on peut recréer dans un autre secteur un écosystème sachant que chacun d’entre eux a sa spécificité adaptée au milieu concerné. Ce type de démarche alimente l’inquiétude de U Levante. Veut-on seulement rentabiliser la mer sous un fallacieux prétexte de la préserver ?

Les quarante-six membres qui composent le comité de gestion du parc sont en majorité des acteurs de la mer et des élus. Vont-ils être des consommateurs de la mer ou des acteurs responsables soucieux avant tout de la préserver et la respecter ? Quelle garantie avons-nous à ce sujet ? En effet, des associations de pêche loisir et de plaisanciers ont récemment contesté devant le tribunal des arrêtés du préfet réglementant la pêche notamment celle des espèces protégées dans la réserve des Bouches de Bonifacio…

Et le livret de présentation version 1 du parc marin autour du Cap et de l’Agriate (page 26, rubrique «conflits entre activités ») soulève un débat de fond essentiel : “la protection des sites est parfois assimilée à un frein au développement économique, un sentiment de mise sous cloche qui peut être très mal vécu par les usagers et générer des tensions. Les acteurs du parc marin sont très attachés à leur environnement, à la préservation de l’esprit sauvage des paysages mais aussi à leurs activités sur ce territoire et au développement de leur région”.

Conclusion :

U Levante a participé activement et positivement à l’élaboration de ce parc marin. Incontestablement le document proposé nous fait mieux connaître le milieu marin autour du Cap Corse et de l’Agriate.

L’espace géré par le parc est précis et nous convient dans la mesure où il englobe le littoral jusqu’à la limite transversale des eaux de mer avec estuaires et cours d’eau (sauf pour l’Alisu où la limite est fixée au pont de fer de la D 81, ce qui est très intéressant dans la mesure où il englobe le port privé de San Fiurenzu).

L’étude du milieu et des usages, y compris ceux qui nuisent à l’environnement, est documentée et permet de faire un état des lieux encore incomplet mais assez significatif.

Cependant pour que ce parc marin, dont la création est une bonne initiative, ne soit pas une coquille vide, plusieurs réserves importantes sont à prendre en considération. Ci-dessous les observations de U Levante, représenté par FNE, lors de la réunion du CNPN du 17 décembre.

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Communication à FNE des observations émanant de la Direction collégiale de l’association U Levante pour la réunion du CNPN, consacrée au parc marin du Cap Corse et de l’Agriate,

U Levante :

– a assisté à toutes les réunions organisées par la mission du parc,

– a fait parvenir hors séances des observations,

– a été reçu par les émissaires du ministère chargés de faire un point sur le parc mais n’avait pas, lors de cette rencontre, connaissance du livret de présentation qui lui a été communiqué le 14 décembre… par FNE.

Première observation

Ce projet de parc marin est réalisé en un temps record et donc de manière précipitée. Cela nuit considérablement à son élaboration et donc à son efficacité. L’inventaire exhaustif du milieu marin n’est pas réalisé. La concertation des acteurs a été conduite à marche forcée sans le temps nécessaire à une véritable réflexion.

Deuxième observation

Les animateurs ont été disponibles et joignables en dehors des séances, attentifs aux remarques, mais la méthode employée aboutit à une sorte de catalogue de bonnes intentions sans fixer de véritables objectifs. Seules des orientations qui ressemblent à des finalités sont présentées.

Or ce livret devrait être une base de la mise en œuvre par le comité de gestion d’un plan de gestion. Il aurait été souhaitable que soient déclinés des objectifs à atteindre classés par priorité en fonction du constat effectué plutôt que des orientations déclinées en pistes d’actions nombreuses et transversales pour que le comité de gestion puisse ensuite définir des choix d’action pertinents immédiats.

Troisième observation

Dans les orientations, il manque une orientation importante relative à la préservation du littoral détérioré par les activités économiques liées au tourisme. Le chapitre “mer en partage, éléments de diagnostic” devrait être complété. La détérioration du littoral, conséquence des activités économiques touristiques sur les plages se traduit par des arasions de dunes, des prélèvements de sable, des déplacements de posidonies, des comblements de zone humide et la construction d’un port privé en embouchure de rivière (l’Aliso à St-Florent). La création par le PADDUC (=Directive Territoriale d’Aménagement de la Corse) d’auberges du pêcheur (qui rendra légale des paillotes) rend encore plus nécessaire l’avis du parc sur la gestion de cet espace littoral.

Quatrième observation

Dans le chapitre «des richesses marines à préserver, principes d’action», nous citons : “créer des zones de protection renforcée, des zones d’exclusion de toute activité permanente ou temporaire en tant que de besoin”. Nous demandons à ce que soient prévues non pas “en tant que de besoin” mais parce que nécessaires à la préservation des espèces, des aires de réserve marine intégrale, dont la localisation reste à déterminer en fonction de critères scientifiques plutôt qu’économiques.

Cinquième observation

Malgré les remarques faites par des scientifiques lors des réunions, il n’est fait que brièvement allusion à l’érosion littorale pourtant bien présente autour du Cap Corse et à une de ses causes, le réchauffement climatique. Des pistes d’actions doivent leur être consacrées.

Sixième observation

La réglementation et la surveillance du milieu marin. C’était une forte attente des groupes de concertation. Si les réglementations en vigueur, en mer et sur le littoral, étaient respectées et s’il existait de réels moyens de les faire appliquer, nous n’observerions pas des comportements individuels et collectifs qui portent une atteinte grave à l’environnement marin. Cette attente a été déçue, dès le moment où l’on nous a dit que le parc marin n’avait qu’un pouvoir consultatif. Pour notre part, nous remarquons que le verbe « réguler » aurait pu, au moins, être employé dans les orientations ou pistes d’action. Nous proposons qu’il le soit dans la création, que nous souhaitons, d’une orientation nouvelle citée en deuxième observation : «contribuer à harmoniser et réguler les activités économiques liées à l’exploitation touristique des plages et du littoral dans le but de préserver les écosystèmes. »

Une autre grande déception : à aucun moment dans le livret de présentation n’est évoqué un budget de fonctionnement prévisionnel ni une liste de moyens humains et matériels mis à disposition du parc. D’ailleurs, dans le dossier de presse de présentation du parc marin du 25 juillet 2014 ne sont prévus que les moyens humains et financiers nécessaires à l’étude du projet et non pas à son fonctionnement. C’est une réelle inquiétude partagée par tous les acteurs concernés. Des moyens en personnels et en matériels (bateaux) sont absolument nécessaires sans quoi le parc sera une coquille vide.

Septième observation

Le nord du Cap et l’Agriate sont dotés, tous deux, d’un sentier du littoral assez exemplaire, qui sont un indiscutable atout touristique. Pourquoi le projet n’envisagerait-t-il pas la réalisation de ce sentier, servitude légale, sur l’ensemble du littoral du futur parc marin ?

Conclusion

L’idée de rassembler les acteurs de la mer dans la perspective d’une démocratie participative au sein d’une structure nommée parc marin nous semble une bonne idée. Néanmoins, nous sommes circonspects sur le réel impact de cette structure sur la préservation du milieu marin et de son littoral, préservation qui devrait être le véritable objectif.

Qu’entendent réellement les décideurs par “développement durable du milieu marin” ? Est-ce, comme nous le craignons, encourager un développement économique lié à la mer en ne faisant que sensibiliser au respect de son environnement ? Un parc marin devrait réellement protéger le milieu marin de l’économie liée à la mer en la régulant.