Verde d’Orezza : un gisement d’une roche unique au monde et d’une beauté exceptionnelle en danger de disparition

Actuellement et jusqu’au 29 mars 2023, 17 heures, une enquête publique porte sur la demande d’autorisation environnementale en vue d’exploiter une carrière de « Verde d’Orezza » sur la commune de Carchetu Brusticu, en Castagniccia, présentée par la « Société corse de recherche et de valorisation des ressources naturelles » (SOCOREVA). Participez! https://www.registre-dematerialise.fr/4474/

U Levante a adressé à Mme la Commissaire enquêtrice le texte ci-dessous.

Parmi toutes les richesses géologiques de la Corse il est deux pierres emblématiques : la diorite orbiculaire de Santa Lucia di Tallà et le Vert d’Orezza de Castagniccia. Elles font donc partie du patrimoine géologique exceptionnel de la Corse. Le gisement de diorite orbiculaire a été pillé et … il est épuisé. 

Échantillon poli de Vert d’Orezza (Cliché Hervé Guyot) – Le minéral d’un vert intense est la smaragdite.

La roche « Verde d’Orezza » ou « Vert d’Orezza » ou « Verde di Corsica » ou « Vert de Corse » est décrite par Jean Arrighi et Françoise Giorgetti dans leur livre « Les roches ornementales de Corse » publié en 1991 par les éditions « Le temps retrouvé ». 

Selon Louis Verard (1812), le « Verde di Corsica » est la roche « la plus précieuse par le brillant de ses couleurs, de son tissu et de son beau poli ».

« La teinte varie énormément d’un échantillon à l’autre : verte, gris argent, bleutée ou même mordorée » :

Bien que le gisement soit très limité en volume, il n’est pas (pas encore…) épuisé. Il a été exploité en carrière jusqu’au début des années 80. Le Vert d’Orezza, roche rare et exceptionnelle, est la matière première de nombreux objets d’art. Elle a donc une grande valeur pécuniaire. Depuis l’arrêt de l’activité de la carrière, cette roche est recherchée dans les éboulis et elle ne constitue aujourd’hui qu’un marché́ artisanal corse limité, lié à l’orfèvrerie. 

Les gisements du « Vert d’Orezza » et l’inventaire du patrimoine géologique

En Castagniccia, trois affleurements sont connus sur les communes de Pietricaghju, Piupeta et Carchetu :

Extrait de la carte géologique : les trois affleurements connus

Le Verde di Corsica figure en bonne position dans l’inventaire du patrimoine géologique de la Corse et a vocation à devenir un géotope.  “Les géotopes sont des monuments naturels d’intérêt géoscientifique qui méritent d’être protégés, des portions de la géosphère délimitées dans l’espace qui revêtent une importance géologique, géomorphologique ou géoécologique particulière…”

L’Arrêté Préfectoral de Protection de Géotope est un outil réglementaire de protection de la nature qui existe depuis fin 2015. Il s’agit du premier outil de protection de la nature entièrement dédié à la Géologie. » Source INPN (Inventaire National du Patrimoine Naturel).

Malheureusement, le périmètre figurant sur la fiche* de l’inventaire du patrimoine géologique n’inclut pas les affleurements de Carchetu, objet de l’enquête publique en cours relative à la demande d’autorisation environnementale dans le cadre d’un projet de carrière, ainsi que le montre la carte de la surface impactée par la présence de Verde di Corsica (roche en place et en éboulis) : 

Le projet d’ouverture d’une carrière qui pourrait porter atteinte à la biodiversité 

La réouverture d’une carrière sur l’ancien lieu d’extraction et l’ouverture d’un nouveau front de carrière par la Société corse de recherche et de valorisation des ressources naturelles (SOCOREVA) font l’objet, actuellement, d’une enquête publique ; distantes de 160 mètres deux plateformes d’extraction et de sciage des blocs sont prévues.

Le projet est situé dans le PNRC, dans un réservoir de biodiversité, une zone boisée, un site inscrit, une ZNIEFF et un corridor de moyenne montagne de “la trame verte et bleue”. Il entraîne défrichements et impacts sonores importants : circulation de véhicules et activité continue des machines pour effectuer un sciage très long et très difficile.

Le volume de matériau à mettre en œuvre pour trouver des blocs homogènes et non fracturés pour être exploitables est très sous-estimé. De plus, la superficie de la plate-forme d’exploitation prévue n’est que de 400 m2 pour algeco, blocs en cours de sciage, machines, véhicules, et surtout pour le stockage des déchets, au volume conséquent, résultant de l’épannelage des blocs. Cette surface est donc elle aussi très sous-estimée.

La création des zones d’exploitation et des pistes afférentes aura des impacts importants sur une faune protégée, en particulier sur :

  • Des chiroptères : le grand rhinolophe.
  • Des oiseaux : l’autour des palombes et le milan royal.
  • Des amphibiens dont l’euprocte
  • Des insectes dont un capricorne très rare :  la Rosalie des Alpes.

Et elle mettrait en danger le chat sauvage, u ghjattu volpe, qui vient d’être reconnu par l’OFB (Office Français de la Biodiversité) le 16 mars 2023 comme espèce spécifique à la Corse et qui devrait donc être inscrit sur la liste rouge corse des espèces protégées. Des mesures de conservation adaptées pour préserver son habitat sont impératives.

Le manque de sérieux des documents présentés à l’enquête publique

  • Il est curieux qu’aucune étude approfondie de géophysique ne soit pas jointe. Il n’est pas démontré l’ampleur des affleurements de roche ornementale. Comment dans ces conditions évaluer le tonage ?
  • La seule nouvelle étude pétrographique concerne le risque amiantifère. Il est regrettable qu’aucune étude détaillée du gisement ne figure dans le dossier. A-t-elle été réalisée ? 
  • À la lecture des documents, on ne sait pas si la plateforme 1 exploitera des chaos de blocs ou la roche en place.
  • Dans le tome 3 – EI, page 18, figure une coupe qui pose problème :

Cette coupe, qui n’est pas positionnée sur une carte, semble un copié-collé (colorié !) de la page 98 de l’ouvrage « Les roches ornementales de Corse » de Jean Arrhigi et Françoise Giorgetti… 

En fait, la coupe présentée dans le dossier d’enquête publique ne concerne pas le projet de carrière de Carchetu Brusticu mais l’affleurement protégé (cf. inventaire du patrimoine géologique) de Teppa A Teghiale (le plus au sud) (cf. carte ci-dessous).

La justification de l’ouverture de la carrière par l’intérêt économique

Pour la société, comme d’habitude, l’intérêt économique pour la Corse est évident puisque des emplois sont à la clé.

Hélas l’affirmation fait rire quand on se penche sur le projet :

  • les blocs seront extraits par des ouvriers spécialisés … qui viendront de Sardaigne,
  • ils seront ensuite expédiés en Italie, très précisément à Carrare, où ils seront débités.

Par contre, cette roche ayant une grande valeur sur le marché des roches ornementales, les plaques sciées seront sans doute vendues « à prix d’or » au bénéfice de la société.  Ainsi la Corse perdrait une partie de son exceptionnel patrimoine minéralogique au profit d’intérêts privés… 

 Les membres de la direction collégiale de l’association U Levante émettent en conséquence un avis très défavorable à ce projet de carrière qui autoriserait l’exploitation du “Vert d’Orezza” ou “Verde di Corsica”, projet qui devra être examiné par le Conseil des sites de la Corse.  

*Fiche de l’inventaire du patrimoine géologique de la Corse

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