Aggravation du risque d’inondation et destruction de la biodiversité : le projet «Les Terrasses du Stiletto», symbole des dérives de l’urbanisation à Aiacciu, éreinté par l’autorité environnementale

Dans son avis du 20 août 2020, la Mission Régionale d’Autorité environnementale de la Corse (MRAe) pointe les effets catastrophiques pour l’environnement, pour la sécurité et le cadre de vie des Ajacciens du projet de nouveau quartier « les Terrasses du Stiletto ». Morceaux choisis.

A – PRÉSENTATION DU PROJET ET DE SON CONTEXTE «ADMINISTRATIF»

« Le projet résidentiel « Les Terrasses du Stiletto » a fait l’objet d’un permis de construire délivré le 13 juillet 2017 par la mairie d’Ajaccio pour la réalisation de 15 bâtiments totalisant 929 logements. La préfecture de Corse-du-Sud a déféré ce permis au Tribunal administratif de Bastia à fin d’annulation. Par jugement du 23 août 2018, la préfecture a été déboutée de sa demande. Il semble ensuite (le dossier ne précise pas ce point) que la SCCV « Les Terrasses du Stiletto » ait obtenu, en fin d’année 2018, le bénéfice d’un permis de construire modificatif portant le nombre de bâtiments à 27 pour un nombre identique de logements, permettant ainsi de réduire la hauteur des bâtiments.

Les 13 et 15 mars 2019, des agents de l’Agence française pour la biodiversité se rendent sur le chantier et constatent la destruction d’une espèce protégée, la Tortue d’Hermann (Testudo hermanni). En date du 29 mars 2019, le service biodiversité, eau et paysages de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement de Corse, établit un rapport en manquement administratif visant la SCCV « Les Terrasses duStiletto ». À la suite de ce rapport, le 4 juin 2019, la SCCV est mise en demeure de cesser les travaux et de régulariser sa situation administrative.

Le 13 mai 2019, dans le cadre de la régularisation de son projet, la SCCV « Les Terrasses du Stiletto » dépose une demande d’examen au cas par cas. À l’issue de cet examen, par décision n° F09419P037 du 17 juin 2019 portant décision d’examen au « cas par cas » relatif au projet de création du quartier résidentiel « Les Terrasses du Stiletto », sur le territoire de la commune d’AJACCIO, en application de l’article R. 122-3 du code de l’environnement, le projet est soumis à la réalisation d’une étude d’impact. Cette étude fait l’objet du présent avis. »

B – RISQUES INONDATION

Plan de masse du futur quartier (avis MRAe)

Comme l’illustre l’extrait de la carte des risques du PLU d’Ajaccio approuvé en novembre 2019, l’emprise du projet « les Terrasses du Stiletto » se situe à quelque 800 mètres en amont de la « zone rouge » du Plan de prévention des risques inondation (PPRI).

L’avis de MRAe met en garde contre un risque important d’aggravation du risque inondations par ruissellement urbain sur tout le secteur de l’avenue Noël Franchini : 

« L’étude d’impact relève que la zone d’implantation du projet est située hors des zones d’aléas identifiés dans le plan de prévention des risques (PPRI) « San Remedio » et dans l’atlas des zones inondables. Le projet n’est donc pas concerné en lui-même par le risque inondation. Toutefois, l’étude souligne, à juste titre, que le projet, par l’imperméabilisation des surfaces qu’il implique, est susceptible de contribuer à l’aggravation de ce risque en aval, notamment dans les secteurs déjà fortement affectés du rond-point de Bodiccione et de l’avenue Noël Franchini. En effet, avant travaux, le terrain étant constitué par une petite colline, il y avait trois bassins versants.

« Les terrassements ont conduit à la création d’un bassin versant unique orientant les eaux de ruissellement vers l’ouest, donc vers les zones rouges du PPRI. » (…)

« Au final, l’étude hydrologique conclut que les écoulements générés par la future résidence seront 3 fois plus importants que ceux générés actuellement par les 8 ha non aménagés, ce qui conduira à une augmentation significative du phénomène de ruissellement. Au vu de ces résultats, l’impact du projet sur le ruissellement est qualifié de moyen à fort dans l’étude d’impact. »

À ce stade, permettez-nous de revenir sur notre article publié le 16 juin dernier sur le site d’U Levante à la suite des dramatiques inondations de mai sur l’est Ajaccio : https://www.ulevante.fr/aiacciu-etat-de-catastrophe-naturelle-ou-etat-de-catastrophe-urbanistique/ 

U Levante pointait du doigt les configurations topographiques des futures zones à urbaniser prévues dans le PLU approuvé en novembre 2019.

Une de ces zones d’une capacité d’accueil de 850 logements s’étend sur 11 hectares sur les hauts de Pietralba, en dessous du futur hôpital) : les flèches blanches de la photo aérienne ci-dessous représentent le sens de la pente et donc de l’écoulement des eaux pluviales.

Attention donc à l’effet dévastateur que pourrait avoir l’artificialisation d’une vingtaine d’hectares (8 hectares (et 929 logements) pour « les Terrasses du Stiletto », 11 hectares (et 850 logements) pour la future zone à urbaniser de Pietralba) immédiatement en amont de l’avenue Noël Franchini, déjà régulièrement frappée par des inondations catastrophiques.

Quand s’arrêtera donc cette frénésie urbanistique ? Faudra-t-il des morts pour que les autorités prennent enfin conscience de la gravité de la situation ?

C – ATTEINTES À LA BIODIVERSITÉ ET MESURES DE COMPENSATION

Le 4 juin 2019, en raison de la destruction d’espèces protégées, la SCCV “Les Terrasses du Stiletto”, représentée par M Patrick Rocca, a été mise en demeure (arrêté en pièce jointe) de cesser les travaux de défrichement et de terrassement qu’elle effectuait.

Selon la MRAe, « L’étude relève que le projet a conduit à la destruction de la majeure partie de cette population (Tortue d’Hermann) et que la reprise des travaux impliquera la destruction des individus restants. »

L’impact du projet est qualifié de fort pour cette espèce et l’étude conclut qu’une dérogation aux interdictions visant les espèces protégées est nécessaire. (…)

En raison de la réalisation des opérations de défrichement et de terrassement antérieurement à la réalisation de l’étude d’impact sur la majeure partie du site, la destruction de plusieurs espèces protégées n’a pu être évitée ou suffisamment réduite. Des mesures de compensation sont donc nécessaires pour une espèce animale, la Tortue d’Hermann (Testudo hermanni) et deux espèces végétales le Serapias méconnu (Serapias neglecta) et l’ Isoète épineux (Isoetes histrix).

Aussi, le maître d’ouvrage propose six parcelles de compensation (AN10, AN11, A75, A1155, A1156 et A1103) pour un total de 38,55 ha. Ces parcelles sont toutes situées à proximité géographique du site d’implantation du projet, sur les piémonts du mont Sant’Angelo. (…)

Globalement, la mesure de compensation proposée apparaît satisfaisante, car elle permet d’améliorer des milieux similaires à proximité immédiate du projet et actuellement dégradés (milieu en cours de fermeture, nombreux déchets abandonnés, fréquentation anarchique, etc.). En outre, elle porte sur une superficie importante et s’inscrit dans la continuité des mesures de compensation prévues dans le cadre du projet routier de Pénétrante Est. Cette mesure de compensation permettra, en augmentant la surface de milieux propices à la Tortue d’Hermann et en pérennisant une certaine trame verte permettant les déplacements des individus, de soulager légèrement la forte pression qui touche la population de cette espèce fréquentant les piémonts du mont Sant’Angelo, actuellement menacée par l’urbanisation intensive qui s’étend dans les secteurs du Stiletto et de la Confina. » Si la surface des parcelles accueillant les mesures de compensation peut être considérée comme significative, il convient néanmoins de remarquer qu’elles se superposent en quasi-totalité avec l’espace remarquable ou caractéristique n° 2A25 « Monti Sant’Anghjulu » déjà légalement inconstructible (Cf. le rapprochement avec un extrait de la carte n°9 du PADDUC ci-dessous).

U Levante estime donc que cette compensation est largement insuffisante puisque s’opérant sur des espaces bénéficiant déjà d’une forte protection environnementale.

La plus grande part des parcelles “de compensation” (en rouge) se superposent
à l’ERC déjà protégé et inconstructible 2A25 (en bleu)

D – CONCLUSION 

« (…) la prise en compte de l’environnement et du cadre de vie lors de l’élaboration du projet aurait pu être améliorée. Par exemple, aucune alternative à l’utilisation de la voiture individuelle n’a été sérieusement envisagée (absence d’accès piétons, de pistes cyclables ou de transports en commun à proximité). De même, le projet ne s’inscrit pas dans une démarche énergétique ambitieuse, alors qu’il aurait pu viser la neutralité énergétique des bâtiments, voire la création de bâtiments à énergie positive intégrant des dispositifs de production d’électricité renouvelable. Les espaces de vie collective et citoyenne sont inexistants (absence de commerces de proximité, d’équipements culturels collectifs, etc.). Par ailleurs, aucune réflexion n’a été menée en amont, sur la consommation d’espaces naturels, les implantations alternatives vaguement mentionnées ne reposant que sur des considérations d’opportunités foncières, alors qu’aurait pu être étudiée une implantation sur une zone déjà artificialisée telle qu’une friche commerciale. »

Les conclusions de la MRAe  sont cinglantes et mettent en lumière bien des défauts structurels que U Levante a maintes fois dénoncés. Nous y retrouvons notre critique récurrente d’absence de maîtrise publique dans les aménagements à l’origine de l’urbanisation anarchique et consommatrice d’espaces naturels et agricoles par les opérateurs privés au gré des opportunités foncières. 

« Les Terrasses du Stiletto » en sont la caricature !

Avis MRAe :

Arrêté préfectoral de mise en demeure :

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