Corse : des décisions de justice non exécutées

L’effectivité du droit de l’urbanisme dépend de la cohérence des peines et de leur proportionnalité et d’une exécution rapide ou adaptée des décisions intervenues, notamment judiciaires.”

« La remise en état des lieux est la conséquence pratique sur le terrain de l’irrégularité d’une construction. Il s’agit d’une mesure réelle et non d’une peine, destinée à faire cesser l’infraction. À défaut, l’absence de remise en état permettrait au maître d’ouvrage « d’acheter » l’irrégularité par le paiement d’une amende suite à une ordonnance pénale, aussi élevée soit-elle. (…) le juge doit individualiser cette mesure par un contrôle d’utilité et de proportionnalité. ». La remise en état est en principe une véritable mesure à caractère réel et non une peine complémentaire. Tribunal correctionnel de Bastia, 13 mai 2022, Parquet n° 20188000022.

En droit pénal, le montant de la peine devrait avoir un effet dissuasif. Toutefois la masse du contentieux répressif de l’urbanisme sur le littoral corse montre que le caractère dissuasif des condamnations prononcées achoppe. Il ressort des récentes condamnations que les peines d’amende infligées n’ont pas réussi à dissuader les initiatives privées sur le littoral insulaire.

Dans un jugement du 11 mars 2021, le Tribunal correctionnel d’Ajaccio ordonnait la démolition de constructions illégales et qui avaient fait l’objet d’une condamnation antérieure par le Tribunal administratif de Bastia. Dans sa décision, le tribunal estime que la mesure de remise en état s’impose comme le « seul moyen de réparer intégralement le préjudice subi » et qu’elle est proportionnée puisque les permis sont illégaux, l’activité commerciale existe et les atteintes sur un secteur à forte valeur écologique sont graves. TC Ajaccio, 11 mars 2021, RG n° 19/00430.”

Extraits du mémoire « L’effectivité de la loi Littoral en Corse, du droit de l’urbanisme littoral au droit répressif de l’urbanisme sur le littoral : l’effectivité de la loi Littoral en Corse », Anne-Laure Marietti, Master 2-Droit des Collectivités Territoriales, Année universitaire 2021-2022.

NB : dans les exemples qui suivent, seul le premier exemple (port privé Setton à Bonifacio) n’est pas un dossier porté en justice par l’association U Levante.

Des décisions de justice non exécutées – 1

Un si vieil exemple : le port SETTON, port privé sans permis,dans la partie marine de la réserve naturelle des Iles Lavezzi, Cavallo (Bunifaziu)

En février 1989, le milliardaire J. Setton entame la réalisation sur l’île de Cavallo, dans la réserve naturelle, sans aucune autorisation ni permis, d’un port privé. Malgré un PV de la DDE et un arrêté interruptif de travaux pris par le Sous-Préfet le 15 mars, J. Setton termine les travaux.

L’excavation mesure 40 mètres de longueur, 30 mètres de largeur, 8 mètres de profondeur.

Photograpghie “La Corse-Le Provençal”, décembre 1989

Par jugement n° 90 du 2 Février 1990, J. Setton est condamné à détruire les postes d’amarrage et à reconstituer le linéaire côtier, par fermeture du chenal d’accès (sur une profondeur de deux mètres) dans un délai de 6 mois.

Septembre 2022, 33 ans plus tard, le port existe toujours. :

Des décisions de justice non exécutées 2

Domaine de Mesincu, commune de Cagnanu,

Le tribunal correctionnel de Bastia a ordonné le 29 novembre 2019, la décision est définitive, des démolitions et une remise en état :

Le jugement a ordonné la démolition des bâtiments « Sports/Spa » (surface 369 m2) et « Kid Club » (surface 109 m2) avec astreintes sous 2 mois.

Septembre 2022, 31 mois plus tard, aucune démolition n’est constatée. À la connaissance de U Levante, les astreintes qui s’élèvent à environ 170 000 € n’ont pas été payées. Sont-elles suffisantes pour entraîner les démolitions ? Rien n’est moins sûr.

Le jugement a également ordonné la remise en état d’une partie comblée de la zone humide : déblaiement dans un délai de douze mois des 3 418 m2 de remblayages de la zone humide (volume estimé à 8 545 m3) sous astreinte de 200 euros par jour de retard à partir du 29/11/ 2020.

Septembre 2022, plus de 18 mois plus tard : aucune remise en état, et, à la connaissance de U Levante, aucune astreinte recouvrée. Sont-elles suffisantes pour entrainer l’application du jugement ? Rien n’est moins sûr…

NB : La surface comblée proche de la route sert toujours de parking en 2022.

Des décisions de justice non exécutées 3

Les deux villas Amhan à Aiacciu

4 avril 2019 – Le TA annule les deux permis tacites accordés Route des Sanguinaires, dans le site inscrit.

19 septembre 2018 – La Cour d’appel de Bastia condamne à la remise en état dans un délai d’un an sous peine d’astreinte de 75 € par jour de retard.

24 septembre 2019 – La Cour de cassation rejette les pourvois des deux frères AMHAN : les 1 591 m2 correspondant aux dépassements des surfaces autorisées doivent être détruits.

Septembre 2022, deux ans plus tard, aucune démolition 

Les astreintes ont-elles été encaissées par l’État ?  82 000 € X 2 seront dus au 19 septembre 2022. Dans la négative, l’État engagera-t-il une action en recouvrement d’astreintes et demandera-t-il une augmentation de leur montant, les sommes dues ne semblant pas suffisantes pour que les démolitions soient réalisées?

Des décisions de justice non exécutées 4

Piana – Arone – Villa Mury

En espace remarquable de la loi Littoral, Znieff de type 1, site Natura 2000, dans la bande des 100 mètres

L’autorisation donnée par la maire, le 23 février 2015, d’une extensionde 16 m2 d’une maisonnette, a été annulée par le TA  le 22 juin 2017, suite à un déféré de U Levante.

Au printemps 2016, la maisonnette est rasée, Gil Mury contruit une  bâtisse sur deux niveaux, pour une surface d’environ deux fois 80 m2 :

U Levante porte plainte en pénal.

Le 19 décembre 2018 la Cour d’Appel ordonne la remise en état des lieux par démolition de la construction avec astreintes de 100 €/jour de retard dans un délai de six mois.

Le 23 juin 2020 la Cour de cassation confirme : construction à démolir : « La remise en état des lieux par démolition de la construction apparaît comme le seul moyen de réparer efficacement et intégralement le préjudice causé, et demeure proportionnée à ce dernier au regard de l’atteinte portée à l’environnement et au littoral dans une zone protégée ».

Mai 2022 : démolition non effectuée, astreintes non recouvrées.

18 mai 2022 : Cour d’Appel : Action en recouvrement d’astreintes.

Décision : 300 €/jour de retard.

22 juillet 2022 : Démolition non effectuée, astreintes recouvrées : 60 000 €.

Septembre 2022 : démolition non effectuée.

Des décisions de justice non exécutées 5

Coti Chjavari – Constructions Peretti

3 mars 2011 : le Préfet Bouillon accorde trois PC à Julien Peretti contre l’avis de ses services.

14 avril 2016 : Conseil d’État : PC annulés;

11 mars 2021 : Tribunal judiciaire d’Ajaccio : démolition ordonnée et exécutoire.

Septembre 2022 : Attente de la décision de la Cour d’Appel

Des décisions de justice non exécutées 6

Murtoli / Servitude de Passage des Piétons sur le Littoral (SPPL = “sentier littoral”).

Les services de l’État avaient découpé ce projet de sentier en trois tranches.

En ce qui concerne la tranche 1, celle concernant les « Grandes demeures » du Domaine de Murtoli, la décision (définitive) du TA date du 23 juin 2020 n’a pas encore été concrétisée.

Le TA a annulé, au niveau des « Grandes demeures », le tracé préfectoral de ce sentier et a écrit le tracé à suivre. Cette décision de justice est toujours ignorée par l’État en septembre 2022 : le sentier littoral n’est pas indiqué et, conséquence directe, la « crique des célébrités » n’est toujours pas accessible à « Monsieur Tout le Monde ».

Les trois “tranches” et un extrait du TA :

Le tracé du sentier,décidé par le Tribunal administratif au niveau des “Grandes Demeures” :

Sur l’image Géoportail 2019, le tracé de la partie occidentale du tracé, au niveau des Grandes Demeures, est très visible et est souligné par une ligne grise :

Sur l’image Géoportail 2020, le tracé de la partie occidentale du tracé, au niveau des Grandes Demeures, n’apparaît pas… :

Des décisions de justice non exécutées 7

Le sentier du littoral de Sperone – Commune de Bonifacio

La CAA, le 25 octobre 2013, dossier n° 10MA02546, décision définitive, a annulé l’arrêté préfectoral du 10 mars 2009 pris par le Préfet Bouillon : il rejetait la servitude de passage à l’intérieur des terres … afin de ne pas contrarier les célébrités pratiquant le golf.

Septembre 2022, 9 ans plus tard, le sentier, servitude légale, n’est toujours pas concrétisé.

U Levante a demandé sa mise en place à chaque Préfet de Corse du Sud depuis 2009 … sans succès. Le promontoire rocheux le plus méridional de la Corse, notre “Pointe du Raz” est toujours inaccessible à “Monsieur tout le Monde”.